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pour se porter au secours de Bruxelles. Appelant à lui le prince Eugène qui ne laissa devant la citadelle de Lille qu’un rideau de troupes, il s’avança, à marches forcées, dans la direction de l’Escaut, et le 26 novembre, à quatre heures du soir, il arrivait en vue d’Oudenarde. Favorisé par le brouillard, il se mettait en demeure de jeter quatre pouls sur le fleuve, deux au-dessus, deux au-dessous de la ville, et les franchissait dans la nuit. Bien que le mouvement de Marlborough fui prévu depuis plusieurs jours, Vendôme s’était encore laissé surprendre. Ici nous laisserons de nouveau la parole à Saint-Simon.

« L’armée étoit au Saussoy, près de Tournay, dans une tranquillité profonde, dont l’opium avoit gagné jusqu’à Mgr le Duc de Bourgogne, lorsqu’il vint plusieurs avis de la marche des ennemis. M. De Vendôme s’avança là-dessus de ce côté-là, avec quelques détachemens. Le soir, il manda à Mgr le Duc de Bourgogne que, sur les confirmations qu’il recevoit de toutes parts des mêmes nouvelles, il croyoit qu’il devoit marcher avec toute l’armée le lendemain pour le suivre. Mgr le Duc de Bourgogne se déshabilloit pour se coucher lorsqu’il reçut cette lettre, sur laquelle ce qui se trouva auprès de lui alors raisonna différemment : les uns furent d’avis de marcher à l’heure même, les autres qu’il ne se couchât point, pour être prêt de plus grand matin ; enfin le troisième sentiment fut qu’il se couchât pour prendre quelque repos et de marcher le matin, comme M. De Vendôme le lui conseilloit. Après avoir un peu balancé, le jeune prince prit ce dernier parti : il se coucha, il se leva le lendemain au jour, il apprit que l’armée entière des ennemis avoit passé l’Escaut. À chose faite il n’y a plus de remède ; il en fut outré de déplaisir. La vérité est que, quand il auroit suivi le premier, et le seul bon des trois avis, avant qu’on eût détendu, chargé, pris les armes, monté à cheval, la nuit auroit été bien avancée, et que, au chemin qu’il falloit faire, on auroit trouvé les ennemis passés il y auroit eu plus de six ou sept heures ; mais il est des messéances qu’il faut éviter, et c’est le malheur de n’avoir personne auprès de soi qui le sente, ou qui avertisse, quand soi-même on n’y pense pas. Le premier parti auroit été inutile à empêcher le passage, mais très utile au jeune prince à marquer de la volonté et de l’ardeur. À cette faute il en ajouta une autre, qui, sans pouvoir avoir aucun air d’influer à la tranquillité de ce passage si important, en montra une que toutefois