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imposer ; le répartiteur doit alors procéder à des investigations forcément assez sommaires, à cause de l’étendue de sa circonscription. Tantôt il tombe inopinément sur un troupeau insuffisamment caché, tantôt, et c’est là le cas le plus fréquent, un contribuable mécontent lui indique discrètement la bonne piste, et il découvre qu’un quart, un tiers, ou même plus de moitié du bétail d’un douar lui a été dissimulé. Mais c’est là l’exception ; ces vérifications sur le terrain n’ont lieu que d’une manière accidentelle et il ne paraît pas douteux qu’un tiers au moins des élémens imposables échappe à l’impôt. Comment en serait-il autrement ? La rémunération du chef indigène porte non pas sur les bases d’imposition qu’il déclare, mais sur l’ensemble de celles dont l’existence est constatée ; eu fournissant des explications sciemment fausses, il ménage sa popularité auprès de ses administrés, tout en conservant le bénéfice matériel des découvertes de l’agent du fisc. C’est mettre sa conscience à trop rude épreuve.

D’autre part, l’agent des contributions est insuffisamment armé ; tout ce qu’il peut faire quand il reconnaît des dissimulations est de déférer le contrevenant à l’administrateur, en requérant contre lui l’application des peines édictées par le code de l’indigénat ; sanction bien insuffisante, car il n’est pas un Arabe qui ne soit disposé à payer une amende de 15 francs ou à passer trois ou quatre jours en prison pour bénéficier de 50 francs d’impôts. Encore raisonnons-nous ici dans l’hypothèse la plus favorable. La plupart des administrateurs, reprenant en cela la tradition des bureaux arabes auxquels ils ont succédé, font passer avant tout le souci de ne pas attirer de difficultés aux populations de leurs communes. Peu leur importe que la loi ne soit pas appliquée, que la justice distributive et les intérêts de la colonie soient lésés. Aussi existe-t-il fréquemment entre eux et le répartiteur une hostilité qu’on retrouve, de leur part, contre tout fonctionnaire indépendant de leur autorité, et notamment contre les magistrats de l’ordre judiciaire.

Tous ces vices de l’impôt arabe, le gouvernement général les connaît depuis longtemps ; membres de l’administration, des commissions spéciales, des conseils généraux, des délégations, du conseil supérieur, tous les ont maintes fois signalés ; les remèdes pour la plupart assez simples destinés à améliorer la situation ont été précisés, et, chose plus remarquable encore, dans