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reconnaître que, dans presque tout le territoire de commandement, les indigènes se louent du régime militaire et désirent le conserver. La constatation vaut la peine d’être faite. Il faut, sans doute, attribuer cette préférence à la connaissance approfondie qu’ont les officiers des bureaux arabes de la langue et des mœurs du pays, à la promptitude avec laquelle les affaires sont réglées et à la surveillance exercée sur les commandans supérieurs par la division, d’une manière beaucoup plus efficace que sur les administrateurs civils par la préfecture[1].

C’est après 1871, que l’idée de faire administrer par d’autres que des militaires de nombreuses collectivités indigènes entra dans la pratique. Pendant son gouvernement, le général Chanzy créa vingt-quatre communes, en moins de deux ans ; M. A. Grévy trente-quatre ; et enfin M. Tirman quatorze. La différence qui sépare la commune mixte de la commune indigène du territoire de commandement est bien moindre qu’on ne le supposerait, et il n’est pas inexact de dire que cette administration a remplacé par un bureau arabe civil l’ancien bureau arabe militaire. Mais les services se sont divisés, la justice a été confiée à un juge de paix, l’assiette de l’impôt arabe à un répartiteur, la voirie aux ponts et chaussées, la police à la gendarmerie. Comme le coin-mandant supérieur, l’administrateur est assisté par un ou plusieurs administrateurs adjoints ; dans chaque centre constitué il existe une commission et un adjoint spécial élus par les Français ; enfin chaque douar est administré par un cheick. La réunion des cheicks et des adjoints spéciaux l’orme le conseil de la commune. Cette organisation très rationnelle ne provoque

  1. Il existe encore en Algérie des personnes qui se disent partisans du régime militaire, il suffit de causer avec quelques-unes d’entre elles pour se convaincre que ce qu’elles regrettent, ce n’est pas l’administration militaire proprement dite, c’est la faiblesse de l’administration civile. Sur ce point, tout le monde est d’accord, mais le cours des choses ne se modifie point, et il n’est pas probable que le système de concessions à outrance, en vigueur aujourd’hui, soit près de disparaître.
    S’il existait encore des partisans d’une administration purement militaire en Algérie, nous leur rappellerions une anecdote bien connue de tous les vieux Algériens. Sous le gouvernement du maréchal Pélissier, un mouvement d’opinion s’était produit dans la colonie pour l’établissement d’un régime civil, et, à la suite de longues polémiques, un registre avait été ouvert à Alger, où tous les partisans de ce régime étaient invités à s’inscrire. Un jour, on vit le maréchal sortir de son palais en grand uniforme et venir y apposer sa signature. Et ce n’était pas là une de ces plaisanteries dont le vainqueur de Malakoff était coutumier, car dans son entourage, il émettait fréquemment l’opinion que le régime militaire, tel qu’on l’avait compris jusque-là, touchait à son terme.