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habituel ; l’étal de guerre entre tribus ou entre familles, dont nous retrouvons encore une trace dans la vendetta corse, est une chose normale ; aussi n’est-ce point à la société, pure abstraction inconnue en pays arabe, qu’une réparation est due, c’est à la famille lésée dans son intérêt. La peine n’a ni le caractère répressif, ni le caractère préventif : c’est la réparation du préjudice causé, ou, dans certains cas, la loi du talion. De même que les anciennes coutumes germaniques établissaient le wehrgeld, de même le Coran ne considère dans la peine de l’assassinat que la dette du sang contractée envers les parens de la victime ; mais tandis que chez les peuplades du Nord, le meurtre pouvait se racheter à prix d’argent, dans les traditions arabes la vengeance doit être plus complète. Sidi Khelil indique avec force détails la manière d’infliger le châtiment au coupable ; s’il a fait une blessure, il doit recevoir la blessure semblable, et l’on doit prendre des mesures pour lui amputer une partie de bras ou de jambe strictement égale à celle qu’il a coupée. A côté de ces prescriptions féroces, on voit réprimer d’une manière impitoyable des méfaits que nous ne considérons que comme des délits ; le vol, par exemple, est puni de l’amputation du poing, et l’adultère de la femme, de mort.

Toutes ces pénalités ne s’appliquent qu’entre vrais croyans ; Sidi Khelil déclare que « jamais le musulman n’est mis à mort pour le meurtre d’un infidèle, car l’infidèle est trop inférieur pour sa religion. » — De même « il n’y a pas acte de brigandage à s’emparer îles choses appartenant aux infidèles. »

Cet aperçu rapide montre qu’en prenant possession de la régence d’Alger, la France ne pouvait conserver le modo de répression des indigènes, car, s’il était barbare dans bien des cas, il ne protégeait pas l’Européen d’une manière assez efficace. Est-ce à dire qu’il fallait soumettre l’indigène à notre législation pénale ? Nous ne le croyons pas. Notre code classe les actes passibles d’une répression suivant leur degré de gravité, en partant de ceux qui intéressent l’Etat pour aboutir, par une gradation descendante, à ceux qui touchent seulement aux personnes et aux propriétés privées. Cette gradation, très normale dans un pays civilisé et égalitaire, ne l’est nullement en Algérie où la vie et la propriété privée des chrétiens n’ayant pour le musulman aucune valeur, ne méritent de sa part aucune considération. Or, la loi pénale n’a pas seulement pour objet la répression ; dans