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vue français. Que signifie d’ailleurs le jugement des indigènes par le jury ? Sont-ce les pairs de l’accusé, ces douze jurés pris exclusivement parmi les infidèles ? N’y a-t-il pas surtout pour lui une sorte de honte spéciale à être soumis au jugement d’un Israélite ? Trouve-t-il enfin devant cette juridiction toutes les garanties d’impartialité ? À cette dernière question la réponse ne peut qu’être négative. La charge du jury est très lourde pour les colons, à qui elle prend en moyenne quinze jours tous les deux ou trois ans. Dès 1872, deux ans après l’établissement en Algérie du jury, les Algériens en étaient las, car le nombre des affaires indigènes augmente énormément les rôles des cours d’assises. Pense-t-on dès lors que le colon, soustrait périodiquement à ses affaires pour venir juger des gens dont les coreligionnaires l’ont maintes fois volé ou menacé de mort, soit prédisposé à les traiter avec équité ? C’est peu probable. Le résultat de l’organisation actuelle est donc de mécontenter le colon et de n’aboutir qu’à une justice souvent partiale. Cette situation est si connue en Algérie que les magistrats du parquet font souvent tous leurs efforts pour correctionnaliser certaines affaires indigènes et les soustraire au jury.

Ce ne sont pas seulement nos procédés d’instruction ou de jugement dont les défauts sont reconnus, c’est surtout notre système de pénalités qui est inefficace à l’égard des indigènes. Dans leur opinion, la prison n’est pas déshonorante ; ils s’y complaisent, car ils y sont bien nourris, abrités contre les intempéries et surtout parce qu’ils y restent inactifs. Quant à l’amende, elle est purement illusoire ; les tribunaux la prononcent la plupart du temps sans s’inquiéter de savoir si elle sera ou non payée, ce qui ôte toute sanction à leurs condamnations et les réduit à une formalité remplie par le juge pour mettre sa conscience en règle avec la loi qu’il est chargé d’appliquer.

Restent donc la peine de mort et celle des travaux forces qui ont une réelle efficacité ; encore de nombreux exemples permettent-ils aux indigènes l’espoir de s’évader du lieu où ils sont transportés. Cet exposé sommaire indique que ce n’est point, comme on l’a proposé, par quelques palliatifs, mais bien par une réforme complète de la législation criminelle, qu’il faut résoudre la question indigène. A l’égard des indigènes, nous n’avons aucune raison d’être que la force et, pendant longtemps encore, notre justice devra allier à