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voie de suppression, comme on l’a l’ail trop souvent, mais par voie de réformes graduelles, moyen qui rentre moins, il est vrai, dans notre tempérament national, puisqu’il suppose une persévérance qui nous fait trop souvent défaut. Le mouvement, commencé par la dépossession de la djema s’est continué par celle des cadis, dont les attributions sont aujourd’hui limitées aux questions de statut personnel, de succession et de propriété, lorsque celle-ci n’a pas été établie conformément à la loi de 1873[1].

De ce que nos magistrats offrent de meilleures garanties d’impartialité que les cadis, il ne faudrait pas conclure que la justice doit être mieux rendue par eux. Déjà, en matière criminelle, nous avons eu l’occasion de remarquer l’opposition qui existe entre notre conception de la répression pénale et celle des indigènes. En matière civile, la distance est encore plus grande, car c’est avec le Coran lui-même que certaines dispositions de nos codes sont en complète contradiction. Il y a donc là pour l’Arabe l’origine d’une grave répugnance à comparaître devant le magistrat français : elle ne disparaît même pas lorsque celui-ci doit se conformer dans son jugement aux coutumes indigènes. Indépendamment de l’hostilité qui persiste toujours à l’égard de l’infidèle, l’indigène est d’autant moins sûr de rencontrer chez lui la connaissance approfondie de ses mœurs qu’il n’y trouve même pas celle de sa langue. On se rendra un compte exact des rapports directs qui peuvent exister entre le juge et le plaideur indigène, lorsqu’on saura que le crédit alloué au budget de 1 000 pour primes et supplémens de traitement aux magistrats ou officiers de justice français connaissant la langue arabe ne dépasse pas 2 700 francs. La prime variant de 300 à 500 francs, c’est donc environ sept magistrats sur près de trois cents qui peuvent parler couramment l’arabe. La proportion est d’autant plus humiliante pour nous que sur soixante cadis, on en voit sept toucher la prime pour connaissance de la langue française. La conséquence de cet état de choses est de nécessiter l’intervention d’un personnage qui finit par jouer dans l’administration de la justice en Algérie un rôle capital, nous avons nommé l’interprète.

  1. Dans les arrondissemens kabyles de Bougie et de Tizi-Ouzou, indépendamment de leurs fonctions de juges, les cadis sont encore restés greffiers et notaires : dans l’ensemble du pays, leur compétence en matière de statut personnel aurait pu conduire à en faire de véritables officiers de l’état civil.