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que nous puissions nous montrer indifférens au maintien ou à la perte de cette dernière prérogative ?

Prenons-y garde ; sans y renoncer effectivement, sans en prononcer même le nom, le fanatisme ignorant de majorités passionnées menace de ruiner, en quelques mois, l’œuvre de dix siècles. Le protectorat catholique risque de périr de coups qui ne semblaient même pas dirigés contre lui. Cette vieille prérogative, justement enviée de nos rivaux, la France est en train de s’en dépouiller, aveuglément, elle-même, en en brisant, de ses propres mains, les instrumens traditionnels. Quels en sont, en effet, les agens naturels et nécessaires ? Ce sont nos missionnaires, nos religieux et nos religieuses, nos Pères et nos Frères de tout ordre, qui ont couvert le Levant et l’Orient tout entier de leurs établissemens et de leurs écoles. Les frapper, supprimer leurs maisons de France, dissoudre leurs communautés, fermer leurs noviciats, c’est atteindre, directement, à brève échéance, notre protectorat catholique ; c’est, pour ainsi dire, en couper de nos mains les racines vivantes. Ce protectorat, s’imagine-t-on, par hasard, pouvoir le laïciser ? ou encore, songerait-on à l’exercer, uniquement, à l’aide de religieux étrangers, d’Italiens, d’Allemands, d’Austro-Hongrois, d’Espagnols, de Belges, substitués partout à nos Français, de façon que ce ne serait plus que des étrangers et des influences étrangères qui s’abriteraient, à nos dépens, sous les plis de notre drapeau ? Les contempteurs de ce protectorat traditionnel se plaignent parfois de ce que cette protection de la France s’étend à des moines étrangers, tels que les Franciscains italiens de la Custodie de Terre-Sainte ; préféreraient-ils éliminer entièrement l’élément français de tous les établissemens religieux de l’Orient, ou, faute de points d’appui parmi nos nationaux, voudraient-ils abandonner nos droits séculaires aux puissances qui nous en contestent déjà l’exercice[1] ?

Ce protectorat catholique, si légèrement compromis par les passions de nos majorités parlementaires, il est, en effet, menacé à la fois du dedans et du dehors. En même temps qu’il est en

  1. Notre premier plénipotentiaire au Congrès de Berlin, en 18T8, M. Waddington (un protestant, remarquons-le en passant), a bien eu soin d’y faire de nouveau consacrer les droits traditionnels de la France ; mais cet article du traité de Berlin (art. 62) est malheureusement conçu en termes assez vagues. « Les droits acquis à la France, est-il dit, sont expressément réservés, et il est bien entendu qu’aucune atteinte ne saurait être portée au statu quo dans les Lieux-Saints. »