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d’actes ou de paroles les susceptibilités de son roi. Ajoutons qu’avec ce roi, l’office du chef d’état-major était facile : il connaissait la science militaire, il était au courant du mécanisme de l’armée jusque dans ses moindres détails ; il était très appliqué, n’avait aucune fanfaronnade, et ne craignait de se diminuer ni en suivant les conseils de ses serviteurs, ni en s’en montrant reconnaissant.

Victor-Emmanuel n’était pas aussi commode. Il croyait que toute la science militaire consistait dans la bravoure, et nul n’en avait plus que lui ; il ignorait à peu près tout le reste. Habituellement vantard et peu disposé à faire la part de ses ministres dans l’œuvre commune, il s’expliquait cavalièrement sur leur compte : « Je veille jour et nuit, disait-il, pour mieux conduire mes affaires ; si je n’avais pas eu les yeux grandement ouverts, mes ministres ne m’auraient fait faire que des sottises. » Et même Cavour et Rattazzi, auxquels il reconnaissait quelque sagacité, ne l’avaient eue que « parce qu’ils avaient été dirigés par lui[1]. » Après s’être donné cette satisfaction de paroles, il leur laissait dans les affaires une entière latitude, ne croyant pas diminuer son autorité, persuadé même qu’il la consolidait en demeurant fidèle aux règles constitutionnelles. A l’armée, il se montrait, au contraire, très jaloux d’un commandement qu’il était peu apte à exercer ; il se croyait un grand capitaine, n’admettait pas qu’on en doutât, et craignait qu’en cas de victoire, on attribuât à son chef d’état-major la gloire qu’il voulait pour lui tout seul. Le chef d’état-major de sa préférence eût été Délia Rocca, qui l’avait été en 1859 ; mais les polémiques acerbes que ce général avait eu à soutenir, à propos des troubles de Turin, avec les hommes du parti au pouvoir ne permettaient pas de le proposer. Le Roi, alors, eût volontiers choisi le général Petitti, qui, à des qualités militaires remarquables, joignait l’attrait de manières charmantes ; alter ego de La Marmora, il entretenait des relations cordiales avec Cialdini. Petitti se récusa ; le choix se réduisit entre La Marmora et Cialdini. Victor-Emmanuel n’aimait ni l’un ni l’autre, pour une même raison : ni l’un ni l’autre ne faisaient cas de ses talens militaires et ne le laisseraient se mêler des opérations à tort et à travers ; tous les deux

  1. Lettre du général Petitti à Chiala du 3 juin 1879, publiée par celui-ci dans l’appendice de son livre si intéressant, si plein de faits et de documens : Ancora un po più di luce.