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Par suite, les instructions envoyées à Château-Renault lui faisaient connaître qu’une flotte anglaise menacerait prochainement Cadix et que cette flotte détacherait sans doute plusieurs vaisseaux en croisière sur la route ordinaire des galions. Pour les éviter, il lui était prescrit, une fois dans l’Atlantique, de s’élever au nord jusqu’au 45e degré de latitude et de s’y maintenir comme s’il eût cherché l’embouchure de la Gironde ; puis sans reconnaître le cap Finisterre, d’entrer dans le golfe de Gascogne pour venir aborder à Passages. Au cas où les vents lui interdiraient l’entrée de ce port, au cas également où il se saurait suivi par une escadre ennemie, l’amiral, sans s’obstiner à y pénétrer, devait aussitôt se porter sur La Rochelle. Il ne lui était ainsi permis d’aller à Cadix, que s’il s’y voyait absolument contraint par des événemens imprévus, et n’était autorisé à le faire qu’en rangeant auparavant la côte de Barbarie.

Quoique avisé, même avant son départ pour l’Amérique, de la destination donnée aux galions, Château-Renault, afin de n’en rien laisser percer, n’avait osé mettre à profit son séjour à la Vera-Cruz et à la Havane pour se renseigner exactement sur le port de Passages. Il savait, en effet, que la plupart des commerçans n’embarqueraient point leurs marchandises sur la flotte, s’ils eussent soupçonné qu’elle ne dût pas rentrer à Cadix.

Pour se procurer ces renseignemens indispensables, il attendit donc d’être en pleine mer et se fit alors donner des mémoires détaillés, non seulement sur Passages, mais également sur tous les ports espagnols de l’Atlantique, où il pourrait, en cas de besoin, trouver un abri.

Des indications fournies par ces mémoires ressortaient particulièrement la difficulté de faire entrer un gros corps de vaisseaux dans le petit port de Passages et les inconvéniens de laisser au dehors, dans une saison relativement avancée, des bâtimens exposés à la violence du vent.

En outre, la défense faite à l’amiral de reconnaître le cap Finisterre augmentait pour lui les dangers de la navigation. Dans l’impossibilité où il se trouvait ainsi de juger exactement sa route, il risquait, en s’enfonçant outre mesure dans le golfe de Gascogne, d’être entraîné par les courans d’aval et d’aller perdre sa flotte sur la côte d’Arcachon ou, en n’y entrant pas assez avant, de donner précisément sur le cap, dont l’approche lui était interdite.