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ainsi perdue pour l’agriculture. Les indigènes, qui cultivent surtout les céréales, ont un outillage des plus primitifs ; ils ne s’inquiètent ni des engrais, dont ils ignorent l’usage, sauf dans les montagnes de la Kabylie, ni de l’assolement, la quantité de terre dont ils disposent étant bien supérieure à leurs besoins. Cependant, le voisinage des cultures européennes amène insensiblement de réels progrès ; quelques indigènes aisés achètent de meilleurs instrumens et perfectionnent leur exploitation ; ils soignent mieux le bétail et en tirent un plus grand bénéfice[1]. Les colons exploitent leurs terres d’une manière plus lucrative, grâce aux amendemens qu’ils emploient et à de meilleures méthodes culturales. Malheureusement, presque tout le monde en Algérie vise trop à se procurer des revenus immédiats et néglige les œuvres de longue haleine : c’est ainsi qu’on ne voit que rarement le colon consacrer à la plantation une parcelle de sa propriété.

Ce serait cependant une œuvre à la fois utile et lucrative ; le caroubier, l’amandier, bien appropriés au climat, donnent un revenu susceptible de doubler au bout d’une quinzaine d’années ; le tremble et le peuplier, dont le rapport est moindre, ont l’avantage de conserver et de revivifier les sources, considération capitale dans une contrée aussi desséchée. Le maréchal Bugeaud, qui s’intéressait avec tant de compétence et de passion aux questions agricoles, faisait remarquer que rien n’attache plus le propriétaire au sol que la plantation, et particulièrement celle des arbres fruitiers ; il y a là une observation très exacte, dont on aurait pu tirer parti depuis longtemps, en encourageant par des subventions, des primes ou des exemptions temporaires d’impôts toute personne qui planterait une certaine superficie ; ce serait une réminiscence des mesures édictées autrefois par le conseil de Castille pour reboiser les arides plateaux du centre de l’Espagne, mais bientôt tombées en désuétude[2]. On ne saurait trop attirer sur ce point la sollicitude du gouvernement général, qui semble depuis quelques années prendre un réel

  1. Une récente statistique indique que l’augmentation de valeur des instrumens agricoles appartenant aux indigènes atteint presque un million en dix ans.
  2. De 1837 à 1881, le génie militaire a planté aux environs d’Alger 115 000 pieds d’arbres, savoir : arbres européens : 47 429 pieds ; algériens : 2 636 pieds ; australiens : 65 087 pieds, moyennant une dépense de 103 000 francs. Le reboisement en pins du Mansourah, opéré à Constantine par l’administration des Forêts, a coûté quatre ou cinq fois plus.