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fanatiques. Le colon prudent a des chances d’arriver à vivre en assez bonne intelligence avec l’indigène ; mais les personnes qui vont coloniser manquent souvent de prudence, et là est le malheur, car elles contribuent ainsi sans s’en douter à élargir le fossé qui sépare les deux races. Il n’est donc point absolument paradoxal, comme on pourrait le croire, de dire que l’ennemi de la colonisation est parfois le colon. L’administrateur, de son côté, n’apparaît que comme un ami des plus tièdes, car l’Européen est presque toujours pour lui une gêne et une cause de soucis. Cet état mental est bien caractérisé par la réponse que faisait un jour un de ces fonctionnaires auquel on adressait un compliment sur sa résidence : « Peu importe la résidence, disait-il, pourvu qu’il n’y ait pas de colons dans la commune. » C’est à peu près ce que pensaient les bureaux arabes, mais on conviendra que ce ne sont pas là des conditions très favorables au développement de la colonisation.

Enfin, une des causes qui, plus que toute autre, tendent à déconsidérer notre grande colonie d’une manière imméritée, c’est l’abus de la politique ; et cependant, en aucun pays, il ne s’explique moins, car l’Algérie ne possède pas, à proprement parler, de partis, il n’y existe que des rivalités de personnes. Pour ceux qui sont au pouvoir, tout se résume en cet axiome brutal :


… Nul n’aura de pouvoir
Hors nous et nos amis…


Pour les autres, tout consiste à déloger les adversaires de leurs positions le plus tôt possible et à se substituer à tous les avantages dont ils jouissent. Il en est ainsi à tous les degrés, depuis les élections législatives jusqu’aux plus modestes luttes municipales. Ce régime électoral n’aurait peut-être pas grand inconvénient dans un pays d’esprit plus rassis et de sens plus calme ; mais, ici, le soleil enflamme tout, hommes et choses, et il est bien difficile de conserver quelque modération.

Ces ardentes convoitises donnent naissance à une nuée de feuilles, aussi dépourvues, pour la plupart, d’intérêt que remplies d’injures. La presse algérienne connaît peu les choses étrangères à l’Algérie, elle les comprend à sa manière et commet fréquemment des erreurs qui font la joie des lecteurs européens. Quant aux questions locales, elles sont trop souvent traitées avec un parti pris ou une violence qui ôte toute valeur aux articles les