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Le poète essaye en vain d’éveiller une amitié qui se dérobe. Il ne peut se faire à l’oubli. Il prévient son ami qu’il va lutter en Pologne. Il lui donne des conseils de prudence et de discrétion pour les lettres qu’il attend de lui dans son pays. La vie de voyages et d’aventures est finie. Il va falloir maintenant se prendre corps à corps avec la réalité.


Je ne sais ce que je vais faire. Probablement, la réalité de cette vie m’apparaîtra sous la forme de bœufs, charrues, choux, blés, pommes de terre, machines à faire de l’eau-de-vie, et autres formes tout aussi gracieuses et tout aussi sympathiques avec mon intelligence.


J’ai déjà cité plus haut la conclusion mélancolique de cette lettre, qui devait être la dernière de la correspondance.

Telle qu’elle est, cette correspondance est particulièrement précieuse pour la psychologie de Krasinski. Suivant la remarque célèbre de Sainte-Beuve, il y a chez beaucoup d’entre nous « un poète mort jeune en qui l’âme survit. » Ce fut le cas de Henry Reeve. C’est pourquoi je n’ai guère insisté sur ses accès poétiques, sur ses juvéniles illusions. Chez Krasinski, au contraire, le poète est resté fidèle à lui-même jusqu’à la fin d’une vie malheureusement trop courte pour l’honneur des lettres polonaises.


IV

Nous remercions M. Kallenbach de nous avoir donné cette correspondance. Nous ne lui sommes pas moins, obligés d’y avoir joint, dans la dernière partie du second volume, toute une série de morceaux écrits par le poète, de 1830 à 1832, et dont il avait remis les autographes à son ami Reeve. A côté de ces morceaux l’éditeur a réimprimé quelques études publiées dans la Bibliothèque universelle, au cours de l’année 1830, et qu’il est intéressant de remettre en lumière. Parmi les étrangers qui ont collaboré à cette revue, il en est peu d’aussi illustres que Krasinski.

Le premier article paru dans la Bibliothèque est une lettre, adressée de Paris à M. Bonstetten. La Bibliothèque universelle venait de publier un article de Mlle de Klustine, l’amie de Mickiewicz, sur la littérature russe. Krasinski lui donnait comme pendant une lettre sur l’état actuel de la littérature polonaise (livraison de février 1830, p. 135-158). Il avouait lui-même « son