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de commerce est unique dans son genre. La Garonne a plus d’un quart de lieue de large dans toute cette étendue et elle est couverte de bâtimens à remplir deux ou trois bassins du Havre. Je me suis demandé, en voyant cette affluence, de quoi donc se plaint le commerce de Bordeaux. Mais il paraît que le mouvement du port n’est pas en proportion de la beauté de son aspect. Beaucoup de ces navires restent stationnaires et, de fait, depuis trois jours que je suis ici, je les retrouve tous à la même place. On dirait une décoration à poste fixe. Mais, pour un amateur de pittoresque, cette décoration est belle à voir ; sur une des rives, la ville ; sur l’autre, la campagne à perte de vue, en sorte qu’on découvre la verdure à travers les mâts des vaisseaux et que le fond de ce grand tableau, dont le port est le premier plan, ce sont des arbres, des bosquets, des maisons de plaisance, des vignobles sur les coteaux, un horizon enchanteur sur plus de six lieues d’étendue. Que serait-ce si le soleil m’eût envoyé seulement un rayon !

Ma dernière lettre était datée de Poitiers ; je suis parti de là pour aller à Mirambeau chez M. Duchâtel, en passant par la route de Niort et de Saintes. Je suis resté à Mirambeau samedi et dimanche. Duchâtel, le ministre, n’y était pas : il se marie dans quelques jours à Paris ; je n’ai trouvé que son frère et sa sœur, mais je n’en ai pas moins goûté deux jours d’une villégiature charmante dans cette résidence. Le château est situé sur une hauteur d’où l’on aperçoit, à deux lieues de là, la Gironde, qui elle-même a deux lieues de large ; de l’autre côté du fleuve, on voit les célèbres vignobles du Médoc. En venant à Bordeaux, je me suis arrêté à Blaye, dont j’ai visité la citadelle ; on a, du haut de ses remparts, une vue admirable ; mais il n’y a là d’intéressant que le souvenir de la Duchesse de Berry dont on m’a montré les fenêtres, ainsi que la promenade qu’elle affectionnait, et dans laquelle le général Bugeaud ne la quittait pas d’une seconde. Je ne sais d’ailleurs par où la Duchesse se serait sauvée : c’est inabordable.

Remerciez bien Saint-Jean et de Calonne pour les lettres qu’ils m’ont adressées : je me trouve ainsi jour par jour au courant de vos études et de vos plaisirs, et c’est pour moi une satisfaction bien vive, je vous assure. J’ai lu vos vers hier, et j’en ai trouvé trois ou quatre assez remarquablement frappés : c’est beaucoup ; j’espère bien que vous vous préparez aussi, par de bonnes