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peu !… — le nombre des adhérens de la Ligue à Dublin avait doublé. Mais, dans l’ensemble, l’application de la coercition était-elle justifiée, rendue nécessaire par la gravité de la situation ? Voilà ce qu’à la Chambre des communes ont refusé d’admettre les porte-parole du libéralisme anglais, et notamment M. John Morley.

C’est toujours chose grave que d’enlever à un peuple les garanties du jugement par le jury. Si M. Balfour l’a fait en Irlande, il y a quinze ans, c’est que la criminalité y était alors fort inquiétante ; aujourd’hui, au contraire, selon M. Wyndhum lui-même, pas de crimes, pas même de crimes agraires, à part quelques lettres de menace qualifiées crimes et poursuivies comme telles en vertu du whiteboys act de 1775 ! La plupart des juges d’assises constatent, chaque trimestre, cette situation qui serait exceptionnelle partout ailleurs qu’en Irlande, et reçoivent des mains du haut shériff la traditionnelle paire de gants blancs qui témoigne qu’ils n’ont personne à condamner de leurs blanches mains. Faute de prisonniers, les prisons se ferment ; on en a désaffecté cinq dans la seule année 1901. Quant au boycottage, puisque c’est là contre que le gouvernement a voulu s’armer, qu’en disaient l’an dernier les statistiques officielles[1] ? Cinq ou six cas de boycottage absolu, plus une cinquantaine de cas de boycottage partiel, intéressant ensemble trois cents individus, contre trois mille en 1887 ! Si l’on prend tous les cas légers, infimes, que négligent les statistiques et dont le gouvernement ne tire qu’un argument subsidiaire, on arrive à un total général de 318 cas, englobant 1 500 ou 1 900 personnes, ce qui, sur une population de 4 millions et demi, n’est pas encore, on l’avouera, bien terrible. Encore ces cas de boycottage résultent-ils le plus souvent du simple consensus de la communauté, sans recours aux seuls faits punissables par la loi, menace, violence ou intimidation. La loi même reste d’ailleurs quasi impuissante contre une pratique qui est, sous des formes subtiles et variées, de tous les pays, de tous les mondes et de tous les temps : « la coercition, disait lord Salisbury en 1889, n’a que peu d’effet sur le boycottage ; il grandit malgré elle… ; au fond, il dépend de l’humeur changeante de la population. » Enfin ne sait-on pas que la cause du mal est dans la situation agraire, et dira-t-on que c’est justice

  1. Avril 1902.