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soupçonnaît guère. Otello et Desdemona, Falstaff et les joyeuses commères, existaient déjà par les mots ; désormais ils vivent aussi par les sons. Shakspeare leur avait donné la plénitude de l’être ; ils en devront à Verdi la surabondance.

Cette nouvelle vie a tout accru de l’ancienne, sans en rien altérer. Par des exemples et des comparaisons, il serait aisé de l’établir : la vérité, la vérité morale, ou passionnelle, ou pathétique ; la vérité dans la joie et dans la souffrance ; ici la vérité criante, comme on dit, et là riante, comme on serait tenté de dire, voilà le signe glorieux, — et nouveau, — des deux opéras shakspeariens de Verdi. Situations, caractères, la musique d’Otello et de Falstaff, loin de rien fausser, a renforcé tout. Elle a rempli son office, étrange et supérieur, de musique. Elle a fait sensible au cœur la vérité, que le langage humain, pour admirable qu’il soit, manifeste surtout à l’intelligence. Elle a, comme toujours, — et peut-être comme jamais depuis qu’elle se mesure avec la poésie de Shakspeare, — élevé la beauté de l’ordre de l’esprit à l’ordre de l’âme. Et qu’une telle fortune soit échue à la musique italienne, il n’y a là qu’un juste retour. On sait par quelles attaches ou par quelles racines le drame et la comédie de Shakspeare tiennent aux vieux récits italiens. Les deux Italies que Montégut distinguait volontiers, l’Italie tragique et la rieuse Italie, avaient contribué jadis à former le génie du poète anglo-saxon. Par Otello et par Falstaff, par tout ce que la musique a mêlé ou rendu de beauté latine à l’œuvre de douleur et à l’œuvre de joie, elles n’ont fait l’une et l’autre que rentrer en quelque sorte dans leurs apports glorieux.

Aussi bien que les personnages de Shakspeare, la musique a su parfois évoquer leur « milieu, » comme on dit, ou, — comme on devrait dire, — leur entourage. Le premier acte de l’Otello de Verdi se passe dans un paysage sonore et changeant, qui va, par une dégradation exquise, de la plus furieuse tempête au lever de l’étoile d’amour dans le ciel redevenu serein. Les trois premiers actes de Falstaff ne sont que de comédie ; mais le quatrième, dès le début et presque en entier, appartient à la nature. Le rideau se lève sur une clairière du parc de Windsor et le fameux chêne de Herne. Les trompes des gardes-chasse se répondent ; la lune resplendit. Une voix alors se fait entendre, une jeune, une amoureuse voix. Elle chante un sonnet délicieux, dont les paroles ont la grâce un peu maniérée de certains sonnets de