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nous partageons tout à fait son avis. Je mettrais volontiers les excès du romantisme au nombre des causes qui ont gêné, dans le cours du XIXe siècle, la diffusion de la langue française.

Et enfin, comment nous séparerions-nous du livre de M. J. Novicow sans le remercier d’être la protestation qu’il est contre la thèse de la « décadence des races latines ? » Si le pouvoir de la France a diminué dans le monde, écrit-il à propos, « on s’est empressé d’attribuer le fait à la dégénérescence physique et intellectuelle de la race, qu’on a qualifiée du terme de « décadence des races latines. » Cette grosse mystification a eu un succès énorme ! Elle est devenue un des clichés les plus en vogue dans ces dernières années, et, par une espèce d’auto-suggestion des plus bizarres, on a pris cette insanité pour un fait réel. Un grand nombre de Français et même de Belges sont convaincus que les races latines sont déchues et que les races germaniques ne le sont pas. » Cette protestation d’un « Slave » touchera-t-elle d’ailleurs M. Léon Bazalgette, qui est un Français, et M. G. Sergi, qui est un Italien ? Je ne sais ! et, au contraire, je crains qu’ils ne tiennent fermement à leur idée de la « décadence des races latines, » pour la beauté des choses qu’ils en ont dites. Mais leur idée n’en sera pas pour cela plus conforme à la réalité des faits, et nous sommes heureux que telle soit l’opinion de M. J. Novicow. Car, ce terme de « décadence » ne pouvant avoir qu’une valeur relative, on s’amusera de constater que, si l’Italien et le Français, trop modestes peut-être, se jugent en décadence, c’est exactement par rapport au même idéal dont le Russe estime, au contraire, que nous nous rapprocherions tous les jours, par un mouvement d’expansion et de progrès continus. Nous, cependant, laissons-les dire, et, en attendant que l’avenir ait tranché le débat, soyons fermement convaincus que le premier degré de la « décadence » est d’y croire, et, pour cette seule raison, qui peut suffire à nous dispenser de toutes les autres, n’y croyons pas ! La sociologie nous le permet, et la Russie nous y invite.


FERDINAND BRUNETIERE.