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certains « qu’il parle bien plus qu’il ne faut, » et qu’il « en dit plus qu’on ne veut[1]. » En un mot, chacun glose, et personne ne sait rien.

Mais, au milieu de ce « chaos, » domine toujours en général la même note dénigrante. Les gens de Cour surtout colportent sur le prisonnier des bruits cruellement insultans, et travestissent son attitude sous les couleurs les plus invraisemblables. C’est à Mme de Sévigné que nous demanderons, une fois de plus, l’échantillon des propos à la mode : « M. De Luxembourg est entièrement déconfit. Ce n’est pas un homme ni un petit homme ; ce n’est pas même une femme, c’est une femmelette. Fermez cette porte ; allumez du feu ; donnez-moi du chocolat ; donnez-moi ce livre ; j’ai quitté Dieu, il m’a abandonné. » Voilà ce qu’il a montré à Bézemaux[2]et à ses commissaires, avec une pâleur mortelle… Quand on n’a que cela à porter à la Bastille, ajoute-t-elle, il vaut bien mieux gagner pays, comme le Roi avec beaucoup de bonté lui en avait donné les moyens. » Ces dernières lignes nous indiquent le thème favori du moment. A la crânerie de Luxembourg, allant lui-même se mettre à la Bastille, on compare la prudente « retraite » — personne ne dit la fuite — de Mmes de Soissons, d’Alluye, de Polignac ; et la comparaison est tout en faveur des dernières. Elles n’ont pas voulu, répète-t-on, supporter « l’idée de la prison ; » elles ont repoussé « la honte d’être confrontées à des gueuses et à des coquines ; » de l’avis général, « il y a quelque chose d’assez naturel et d’assez noble à ce procédé. » La marquise, pour sa part, les approuve, dit-elle, tout à fait[3], et ne fait que traduire l’impression de la Cour. « Tout le monde, écrit Bourdelot à Condé, dit que M. De Luxembourg eût mieux fait de s’en aller à Namur avec Mme la comtesse de Soissons[4]. »

Ce qu’on perçoit sans peine au fond de ces discours, ce n’est pas tant la conviction que le duc ait commis tous les forfaits dont on l’accuse, que la certitude où l’on est d’une irrémédiable

  1. Lettre de MM. Alleaume, de Gourville, de Mondion, de l’abbé de la Victoire, etc. Archives de Chantilly. — Lettres de M. Brayer, de Bussy-Rabutin, etc., etc.
  2. Il est à noter au contraire que M. De Bézemaux, le lendemain de l’arrestation, racontait à Ricous avoir passé trois heures auprès de Luxembourg, qui l’avait entretenu de ses récentes campagnes, dans la guerre de Hollande, avec autant de sang-froid que de liberté d’esprit. — Ricous à Condé, 29 janvier. Archives de Chantilly.
  3. Lettre du 29 janvier au comte de Guitaut.
  4. Lettre du 29 janvier, Archives de Chantilly.