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veillée, la sorcière ne dit une seule phrase qu’on pût interpréter comme une accusation contre le maréchal. Ce fut pour les magistrats instructeurs une déception nouvelle.


Il était à prévoir que cette pénurie de témoins fît impression sur l’opinion publique. A la première excitation succède d’abord une période de calme, de silence. Mme de Sévigné voit déjà l’affaire « aplatie, » noyée dans l’indifférence générale : « On ne dit plus rien de M. De Luxembourg. Vraiment j’admire comme les choses passent ; c’est un vrai fleuve qui emporte tout[1]. » A dire vrai, le public attend les preuves et les révélations promises, et s’étonne fort de ne rien voir venir. « On ne trouve aucune preuve contre M. De Luxembourg, lit-on dans une gazette flamande[2], et l’on a entendu dire au Roi, lorsqu’il prit médecine devant son voyage, qu’il ne voyait pas une personne de qualité qu’on pourrait condamner à mort. » De la surprise à l’impatience, puis à la déception, le pas est aisément franchi. Dès maintenant, on perçoit quelques symptômes de réaction contre la hâte, la prévention des juges, « qui ont fait tant de bruit, nommé scandaleusement de si grands noms pour si peu de chose ! » Condé, sortant de sa première réserve, proclame hautement sa foi dans « l’innocence complète » de son cousin, le voit déjà « se tirant glorieusement » des pièges tendus par ses ennemis. Les parens proches du prisonnier cherchent à profiter de ce revirement des esprits. La mère, la sœur, la femme du maréchal se transportent à Saint-Germain, demandent audience à Louis XIV, qui leur fait « de grandes honnêtetés. » Même, assure-t-on, le Roi « s’est montré fort touché de ce que Mme de Luxembourg s’est jetée trois fois à ses pieds, et perdit la parole, » implorant pour unique faveur d’entrer à la Bastille, de voir un moment son époux. Le Roi, doucement, conseilla la patience, laissant entendre que bientôt on obtiendrait sans doute une satisfaction plus complète. Les trois femmes revinrent à Paris, le cœur plein d’espérance[3].

Mais Louvois n’était pas d’humeur à lâcher si promptement sa proie. Encouragés par lui sous main, endoctrinés par ses

  1. Lettres des 7 et 9 février.
  2. Relations véritables des Pays-Bas, mars 1680.
  3. Lettres de Bourdelot, du P. Bergier, de Condé, etc. De février 1680. Archives de Chantilly. — Relations véritables des Pays-Bas, passim.