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rivières et les menaces des torrens, une foule de notes, d’aperçus infiniment variés. Eaux charretières des ports, et eaux danseuses des torrens ; eaux chanteuses des sources et eaux jaculatoires des geysers ; eaux projetées en panaches par les fontaines et eaux étendues en nappes par les cascades ou tordues en cordes, par les cascatelles, et enfin eaux disciplinées de la grande armée de l’Océan, s’avançant vagues par vagues selon un ordre prévu et venant finir sur les plages, comme une charge finale de cavalerie, à l’heure et au point fixés par un programme mystérieux et éternel, — telles sont les choses diverses que nos meilleurs paysagistes ont choisies cette année comme objets de leur contemplation.

Choisissons-les aussi comme objet de notre visite. Laissons la foule assiéger la vitrine où reposent des argumens en faveur d’un faux célèbre et s’entasser devant quelqu’une de ces familles illustres que les peintres à la mode se plaisent à représenter dans des parcs seigneuriaux ou dans des salons somptueux. L’art n’a rien à faire dans ces curiosités. Non plus dans ces images de feuilletons ou ces illustrations de magazines transposées avec un inutile talent sur des toiles immenses. Elles occupent tant de place sur les murs du Grand Palais, mais si peu dans le reliquaire de nos souvenirs ! Rejoignons plutôt la troupe modeste et silencieuse des paysagistes.

On les oublie tout à fait, d’ordinaire. Ils vivent par force loin des coteries, hors des bureaux d’esprit et de gloire. Ils sont l’ordre contemplatif de la Peinture. Mais, à cette obscurité ou à ce recueillement, l’art gagne tout ce qu’il perd à l’agitation de leurs confrères. Comme le Paysage est un genre peu achalandé, ils ne se hâtent pas de produire. Ils savent qu’ils vendront difficilement ce qu’ils peignent : ils peignent donc seulement quand ils ont quelque plaisir à le faire, — ou quelque témoignage à porter devant nous d’un effet de nature qui les a séduits. Ils peuvent se tromper, balbutier, (en parlant : du moins ils ne parlent que lorsqu’ils ont quelque chose à dire. Let thy heart be without words rather than thy words without heart est un axiome qu’ils n’ont peut-être pas lu dans Bunyan, mais que la vie s’est chargée de leur enseigner. par-là, ils nous touchent. Leur âme légère s’éprend de mille phénomènes imperceptibles et pourtant précieux. Si, cette année, et depuis quelque temps déjà, ils se sont arrêtés de préférence au bord des rivières, sur la berge des