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bras le pain de l’avenir, les coteaux bleuissant au loin, l’oblique rayon de soleil filtrant à travers les nuages et colorant de sa lueur jaune, passagère, la charrette chargée, qui traîne ses épis à terre comme un monstrueux bison sa fourrure, et l’on sentira la vérité profonde et le charme harmonieux de ce petit tableau qu’on peut, qu’on doit appeler hautement un chef-d’œuvre.

Revenant à cette physionomie des rivières calmes de nos plaines, M. Damoye nous en a montré le mouvement. Grises, pâles, frissonnantes sous un ciel d’hiver, glissant parmi des arbres dépouillés, dans des campagnes endormies, les eaux qu’il a peintes révèlent en chacun de leurs globules autant de force que les eaux méditerranéennes de M. Auburtin et les mers du Nord de M. Mesdag : elles courent vers leur but avec le frémissement de la vie.

Et voici, au contraire, les Eaux mortes ! ces miroirs humides qui reposent au fond d’un cadre de pierres : Béguinages, Hospices, Musées, dans cette étrange ville de Bruges, où rien ne bouge plus, que les nuages. Est-ce la réunion des Primitifs, l’été dernier, qui fit se pencher sur ce miroir tant de contemplateurs comme M. Warren Eaton ou M. Franc Lamy ou M. Duhein, cherchant ce que devient une maison, un cygne, un nuage, un rayon de soleil, une destinée, dans les mornes profondeurs d’un Lac d’Amour ? Toujours est-il qu’ils ont exprimé mieux que leurs devanciers quelque chose de ces eaux : anonymes eaux, eaux passives, qui prennent le nom des maisons ou des villes bâties sur leurs bords, qui ne portent pas le nom d’un courant, qui ne naissent pas d’une montagne, qui ne vont pas vers un océan, qui, à aucun moment, ne dansent en cascades, ni ne tourbillonnent, ni ne pleurent, ni ne chantent et ont besoin pour se colorer et se réjouir qu’une figure paraisse à quelque fenêtre et se penche sur elles avec cette interrogation inutile qu’on fait à un confident sans personnalité.

Voici encore des Eaux plus passives, s’il est possible, les eaux purement décoratives des bassins de Majorque, peintes par M. Rusinol, dont la forme est tracée par le dessinateur des jardins, comme celle d’un quinconce ou d’une corbeille de fleurs, bonnes à répéter seulement le plus docilement possible la chanson fugitive des feuilles, ou l’inflexible leçon des ifs taillés sur leurs bords. Ici, la peinture n’en est pas plus malaisée que