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agglomération de 200 000 habitans n’a pour ainsi dire pas l’air d’une ville. Les maisons y sont cachées sous les arbres. On dirait des routes dans une forêt. L’ancienne citadelle royale est maintenant occupée par la population anglaise. Le gouverneur est logé dans une partie du palais, le télégraphe est dans la salle du trône et le club dans les appartemens de la reine.

Mandalay n’est pas une très ancienne cité. Il y a un peu plus d’un siècle la capitale s’appelait Amarapura et était située à quelques kilomètres au sud de la ville actuelle. C’est maintenant un immense amas de ruines bordant le grand fleuve dans la jungle et dans la forêt. On s’y sent ému par cette sorte d’attrait qu’excite toujours l’évocation d’un mystérieux passé. Cela est loin cependant des splendeurs d’Angkor. Ces monumens birmans de brique et de plâtre ne sont point bâtis pour l’éternité. Mais on n’en a pas moins l’esprit saisi par la vue de ces ruines innombrables, poussant — si je peux m’exprimer ainsi — à même la brousse, par ces débris enfouis sous les grands arbres, par ces statues de marbre toutes blanches encore sous les lianes qui les recouvrent. Dieux anciens, dieux endormis, offrant un étrange symbole de la doctrine du Nirvana éternel, et devant qui on trouve parfois quelques fleurs fanées, quelques bâtons d’encens à demi consumés, offrande pieuse que fit en passant un adorateur inconnu.

Il y a cent cinquante ans Amarapura était dans toute sa splendeur ; le roi y avait sa cour, riche alors et fastueuse ; des bonzes emplissaient ses temples ; des éléphans caparaçonnés d’or, des bayadères aux somptueux costumes, des marchands venus avec leurs caravanes du Thibet ou de la Chine, parcouraient ses rues, ses places et ses bazars. Puis un jour, un caprice du souverain décréta l’abandon de la ville. Et le peuple docile, abandonnant son foyer et ses dieux, alla un peu plus loin planter ses pénates, construire de nouvelles maisons, de nouveaux palais et de nouveaux temples. Coutume bizarre dont on trouve de nombreuses traces sur tout le territoire birman et qui devait avoir son origine dans quelque superstition. Je me souviens d’avoir constaté des faits analogues, sur une plus petite échelle, chez les sauvages du Laos. Une épidémie se déclare-t-elle dans une tribu, une guerre a-t-elle une issue malheureuse, une récolte est-elle dévastée par la pluie ou emportée par l’ouragan, le village est aussitôt abandonné et reconstruit ailleurs, fortifié de