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Tandis que nous errons dans les bazars et les échoppes, des musiques, des tam-tams, des clameurs, nous attirent vers une bonzerie. Dans un grand enclos planté d’arbres, une foule se presse, présentant cet admirable effet de couleur des foules de ce pays, ce merveilleux enchevêtrement des turbans et des jupes. des soies qui flottent en draperies ou en écharpes, avec leurs tons clairs, roses, vert pâle, oranges, jaunes, saumons. Cette foule est en liesse. Aux sons d’une musique bizarre des danseuses s’agitent, vêtues d’oripeaux éclatans. Des bonzes circulent paisibles, habillés de jaune, la tête rasée. Quelques-uns d’entre eux, derrière une ficelle, barrière morale, gardent les offrandes qu’on leur a faites, paquets de fruits et de victuailles, légumes frais, boîtes de conserves, bouteilles de vin, bidons de pétrole. Au milieu du jardin s’élève un édifice provisoire en bambou revêtu de papiers peints qui représentent des mystères bouddhistes. Au moyen de toute une machinerie de cordes, un grand char attelé de quatre chevaux de bois peut, à travers les airs, parvenir au sommet de cet étrange monument.

Nous nous avançons vers un coin où la foule est plus pressée et plus bruyante : une douzaine d’hommes portant sur leurs épaules une grande boîte d’argent, dansent une danse bizarre, semblent surtout obéir à la préoccupation de secouer le plus possible la boîte et son contenu. Mais une horde de femmes se précipite. Un combat s’engage au milieu des cris et des éclats de rire. Force reste au beau sexe. Et les voilà parties à travers les jardins, gambadant et chantant, et toujours secouant sur leurs épaules la lourde caisse qu’elles ont enlevée. Nous demandons ce que peut contenir ce reliquaire et d’où vient toute cette joie. Oh, mon Dieu ! c’est bien simple. Le chef des bonzes est mort ces jours-ci. Ce soir on va placer son corps sur le sommet de l’édifice en bambou, et on brûlera le tout. Et ce que l’on secoue dans cette boîte, ce qui fait, au milieu de la foule, des processions bruyantes, ce qu’on agite sans cesse sur les épaules d’hommes qui dansent ou de femmes qui rient, c’est le corps de celui dont l’âme est partie retrouver Bouddha. Pauvre vieux bonze qui avait mené sans doute une existence de privations et de prières, vivant d’aumônes, loin des femmes dont l’écartait la chasteté sacerdotale, il aura eu, du moins, des obsèques animées et une carburation pleine de gaîté.

Près de Maulmein, dans des rochers abrupts qui dominent