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religieuse et la tradition politique avaient été victimes de la même tourmente ; l’une et l’autre, associées en une commune détresse, ne devaient-elles pas être associées en un commun relèvement ? Aussi vit-on, sous la Législative, la majorité des prélats exilés se déclarer hostiles au « serment de liberté et d’égalité, » et juger en termes très sévères les ecclésiastiques demeurés en France qui condescendaient à le prêter. Sous la Convention, ils interdirent, pareillement, le serment de soumission aux lois de la République, et allèrent jusqu’à prétendre qu’une lettre de Pie VI, qui semblait autoriser ce serment, n’était pas authentique. Sous le Consulat, la promesse de fidélité à la constitution de l’an VII fit à plusieurs d’entre eux l’effet d’un péché contre Dieu en même temps que contre le roi.

Des avocats surgissaient, cependant, pour attester qu’en conscience ces engagemens successifs pouvaient être prêtés : ils s’appelaient Emery, supérieur général de Saint-Sulpice ; de Bausset, évêque d’Alais ; La Luzerne, évêque de Langres. « La liberté politique, disait sous la Législative M. Émery, n’est autre chose que cet état où l’on dépend de la loi, et où l’on n’est point gouverné par des volontés arbitraires. On ne peut entendre autre chose par égalité que la répartition des impôts entre les citoyens sans aucun privilège, l’admissibilité à tous les emplois et à toutes les dignités. Un tel serment n’a aucun trait à la religion ; il semble même qu’on pourrait, le prêter dans un État purement monarchique. » — « Les hommes éclairés, expliquait Bausset sous la Convention, ont eu constamment la sagesse de ne point chercher à soulever le voile qui couvre l’origine des gouvernemens, et, par une espèce de consentement tacite, ils n’ont jamais cessé de professer que la première de toutes les lois était de se soumettre à l’ordre établi, soit qu’on l’approuve, soit qu’on ne l’approuve pas… Lorsqu’un gouvernement est reconnu par la plus grande partie des autres gouvernemens, lorsqu’il traite avec eux et avec ses ennemis même comme puissance, lorsqu’une autorité est reconnue dans les actes extérieurs par l’universalité ou la grande majorité des citoyens, en un mot, lorsqu’elle a toute l’action qui caractérise les véritables effets de la souveraineté, la notoriété d’un pareil fait suffit pour déterminer la soumission qu’elle exige. » « Il faut observer, écrivait sous le Directoire de Belloy, évêque de Marseille, que la religion est par elle-même indifférente à la forme de gouvernement, ou royaliste ou républicain, c’est-à-dire qu’elle ne commande aucun des deux. Il faut également observer qu’un gouvernement ne pouvant être à la fois royaliste et républicain, l’adoption de l’un des deux est nécessairement le rejet de l’autre. » Et de Belloy