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d’Angleterre, et, en réalité, il ne manquait pas d’un certain sentiment religieux, bien qu’il parût toujours embarrassé de lui trouver une expression. Seulement, sur quelles croyances cette religion s’appuyait-elle ? Jowett n’était peut-être pas arrivé alors au scepticisme absolu de la fin de sa vie, où il paraîtra douter de la résurrection, de la vie future, de la personnalité de Dieu, de la liberté morale ; mais déjà les vérités principales du christianisme étaient comme déracinées dans son esprit. Pas une qu’il ne fût préparé à lâcher sans résistance, devant une attaque de la critique. Il était a priori disposé à donner tort à la théologie. Le clergé lui inspirait méfiance et antipathie. « Je crois réellement, écrivait-il dès 1846 à Stanley, que trahison envers le clergé est loyauté envers l’Eglise et que, si la religion peut être sauvée, c’est par les hommes d’Etat, non par le clergé. » Son influence sur la jeunesse était destructive de toute croyance dogmatique. Huxley, qui était lui-même un complet incroyant, disait de Jowett, en estimant lui faire un compliment : « Je l’appelle un desintegrator[1]. »

Sera-t-on surpris dès lors que les hommes de tradition le vissent de mauvais œil ? Toutefois la forme que revêtait leur opposition n’était pas toujours heureuse. La chaire de grec à laquelle avait été nommé Jowett n’avait officiellement qu’un traitement dérisoire de quarante livres ; l’usage était que l’Université le complétât par une allocation. Quand la question de cette allocation fut posée devant la « Convocation » des gradés d’Oxford, la majorité la repoussa, afin de marquer la défiance que lui inspirait l’enseignement du professeur. Cette résistance un peu mesquine se prolongea pendant plusieurs années, jusqu’à ce que le chapitre de Christ Church eût trouvé le moyen de se charger de la dépense. Jowett fut très mortifié de cette opposition et en voulut beaucoup à Pusey, qui y avait été mêlé. Ayant peu le goût de la polémique, il ne répondait pas aux attaques et se renfermait dans un silence qui n’était pas sans amertume. Il se consolait d’ailleurs de ces hostilités par les sympathies de plus en plus nombreuses qu’il rencontrait dans la jeunesse.

Est-ce à dire qu’à considérer dans leur ensemble les générations nouvelles d’Oxford, Jowett et son ami Stanley n’eussent que

  1. Lecture de Llewelin Davies au Congrès de Nottingham, en octobre 1897.