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le silence des hypogées, et conservé dans sa force et sa santé, pour une autre vie. Enfermés, comme leurs momies patientes en l’attente du divin, » dans les bandelettes sacrées d’une étroite théogonie, prisonniers d’une religion sans tendresse et sans joie, s’ils connurent le sentiment de la force et déjà, à de rares intervalles, de la grâce, qui sera la source prochaine de beauté parfaite, ils n’eurent jamais ce que la Grèce pressentira, aux heures sublimes de Phidias et de Myron, ce que nous sentirons, chrétiens et modernes, jusqu’à la souffrance, ce qu’agrandira jusqu’à l’impossible l’avenir : le sentiment de l’humanité.

En Grèce, et seulement en Grèce pour toute l’antiquité païenne, l’être se dégage complètement du mythe ; la sculpture s’échappe enfin de l’architecture, et, en moins de deux siècles, s’émancipe et s’épanouit en chefs-d’œuvre purement humains. L’Homme, enfin, beau, heureux et nu, sort du sombre tombeau où les Egyptiens avaient cru enclore à jamais le « double » avec la momie ; Dédale a « ouvert les yeux, et délié les bras et les jambes[1] » de la primitive statue. Des « Xoana », simples idoles de bois, les vraiment premières statues de la Grèce, que Pausanias, qui voyageait au premier siècle de notre ère, pendant les temps d’Hadrien, put voir encore, dans les temples, exposées à l’adoration des fidèles ; des « Xoana » aux grandes œuvres du bronze ou du marbre, le progrès est rapide et sûr. Les formes se dégagent, s’affinent, se « personnalisent », et bientôt semblent vivantes sous la main des sensibles artistes, fils des probes artisans. Les forgerons, habitués à fabriquer des armes, appliquent à la statuaire les procédés techniques acquis au labeur plus grossier, et, — comme, au moyen âge, en Italie, feront les orfèvres, insensiblement devenus les sculpteurs, — les « toreuticiens » de Samos, d’Argos et de Chio, déterminent, en de graves ou charmantes œuvres, les lois de la sculpture en bronze.

La croissance artistique, dès ce moment, en Grèce, est prodigieuse ! L’art éclate de toutes parts. A relire cette admirable histoire, comme on regarderait une plante en un merveilleux jardin, on voit, littéralement, pousser la Beauté ! Les événemens se précipitent, les victoires et les défaites, les travaux, le commerce et l’ardeur du peuple qui sera le divin, l’éternel artiste du monde. Du VIIe siècle, où l’Artémis de Délos n’est qu’une

  1. Diodore de Sicile dit encore des « ξοανα » : « Elles avaient les yeux clos, les bras pendans et collés aux flancs. »