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qu’à l’œuvre significative de son temps, c’est-à-dire qui a contenu, à son heure, une part de nécessaire vérité. Et quand la mode, — fugitif parfum du temps, au fond si précieux à retrouver un jour, — se sera évaporée des pauvres œuvres, vieillies et touchantes encore, le résidu de l’ouvrage un jour populaire, parce que sincère, sera de la beauté.

Le clair génie grec, protégeant la réalité du réalisme, exigeait que la grâce tempérât la force. Scopas de Paros semble le plus beau maître d’une école qui résuma ce moment, admirable encore, de l’art antique. Sous sa main violente et précise à la fois, l’homme sculpté se fait plus élégant, — presque trop élégant déjà, — dans l’allongement des formes, par la petitesse de la tête en particulier. Les belles draperies, comme mouillées, s’enlacent aux jeunes torses, et, baisant amoureusement les gorges entrevues et les cuisses virginales des déesses, se soulèvent, en plis pressés, au vent naissant de l’idéal passionnel. Parmi les grands chefs-d’œuvre qui pourraient être, sans probable erreur, attribués à Scopas lui-même, ou, en tous cas, à son temps, la « Victoire de Samothrace » et la « Vénus de Milo » sont les plus connus. Qui peut dire que ce ne soit pas là la limite de vérité sculpturale que puisse atteindre la main de l’homme, le maximum de vie que puisse contenir la forme et supporter la matière ? Puis vient Praxitèle, qui, déshabillant enfin les déesses, retrouve sous les voiles mythiques la femme vivante, éternel désir. « Cyréné, reine de Paphos, dit une épigramme contemporaine, à travers les flots vient à Cnide, voulant voir son image ; et, après une longue contemplation, elle dit : « Où donc m’a vue, toute nue, Praxitèle ? » Le type féminin était trouvé, dont toute la statuaire antique, — et toute la moderne, — allaient désormais s’inspirer, prisonnières, peut-être à jamais, toutes les deux, de la vision grecque. Vainement, quelque jour, tentera de s’en affranchir la sculpture chrétienne, aux temps dits « gothiques. » La Renaissance n’est qu’une rechute. La magnifique leçon aurait-elle à tout jamais façonné l’âme sculpturale du monde civilisé ?

De fait, les Grecs ont pour toujours arrêté la sculpture au bord du rêve ! Le but suprême du sculpteur sera donc à jamais la représentation de l’homme, de l’homme visible, de l’être au repos aux belles époques, de l’être au mouvement plus ou moins violent aux décadences, comme si l’agitation de l’homme trop