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du Belvédère, » enfin[1], prototype et explication, — sinon excuse, — de toutes les décadences, c’est-à-dire tout ce que peut donner le métier perfectionné à outrance, sans la sensibilité de l’être imprévu, la pédante leçon ressassée sans amour et sans foi ! Les pauvres Grecs, vaincus et dépaysés, ont renoncé aux armes, à la gloire, à la liberté. Heureux et lâches dans la grande paix romaine, ils font encore des statues et des vers pour Rome, la lourde victorieuse, en attendant que Néron, empereur cruel, dit-on, mais artiste peu banal, vienne chanter chez eux, et pour eux, sur le théâtre sacré où avait paru l’Œdipe Roi.

Vainement un souverain éclairé, dilettante curieux en sa philosophie désabusée, tentera de galvaniser à Athènes même, puis à Rome, cette belle force endormie. Sous l’influence d’Hadrien, un curieux et comme maladif effort archaïsant rendra pour un temps la vie à des Phrynés modernement pensives, à des Artémis reprises du lointain sourire. Souvenirs et regrets,… que l’immense orgie romaine abâtardira, et que balaiera, pour une purification nécessaire, le flot prochain des barbares magnifiques, idiots et sains. Le beau déménagement de l’Empire, de Rome à Byzance, ne sauvera rien, et les chers chefs-d’œuvre, qu’on n’aura pas envoyés se faire violer et détruire par l’Islam triomphant, achèveront de mourir tristement en Italie. Il faudra attendre de longs siècles que, sous l’onde chrétienne, repousse la forêt gothique, pour entendre de nouveau, au bois des arbres animés, battre le cœur des images humaines, pour voir sourire aux niches des cathédrales des idées à forme d’êtres, bons saints gauches et doux, héritiers lointains des Apollons de Tenée, madones maladroites et peinturlurées, sœurs inconscientes des Athénas bleues et rouges.

Pendant dix siècles, l’art s’est reposé ; et plus particulièrement la sculpture. Le christianisme naissant, — effort très pur au-dessus des réalités, « au-delà des forces humaines, » — avait-il besoin d’un art ? L’expression figurée, du moins par la plastique, était incompatible avec une religion toute d’esprit, de douleur et de sacrifice : l’idée de renoncement à la matière ne saurait être une idée de beauté, de matérielle et visible beauté. « En vérité, un jour viendra où vous n’adorerez plus Dieu en ce temple, ni dans aucun temple, mais en esprit et en vérité. » Tout

  1. Réplique, romaine sans doute, d’une célèbre statue de Lysippe, et qui fut longtemps considérée comme le type parfait de l’art antique.