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de négoce rapace, de bien-être hâtif, et d’inutile bruit, devant l’immobile blancheur des statues et le fier silence des pierres, ou que l’on compare à l’immense effort de la science l’inutile beauté, et l’on aura le sentiment attristé, comme la sensation rapide, que la sculpture, demain, ne sera plus comprise du passant affairé et sans amour, comme une fois déjà dans le monde, quand Rome, sans qu’on s’en aperçût encore, commençait à déchoir…

L’adolescence superbe de la sculpture fut aux jours merveilleux de l’antique histoire, où elle se sépara définitivement de la peinture. Nous en voyons aujourd’hui la trop habile vieillesse, amenée par toutes les fautes d’Italie. Trop d’esprit ! Cela est mauvais pour tous les arts, pour tous les artistes, et combien plus dangereux encore pour cette honnête et calme sculpture ! Toutes les adresses, toutes les conventions, tous les « trucs, » — clair-obscur, raccourcis, atmosphère, draperies ingénieuses et nuages légers, modelés subtils ajoutés aux finesses des tons, — tous ces charmans mensonges, enfin, du peintre, et du meilleur ! sont matériellement interdits à ce rude et probe ouvrier qui, vêtu de sa blouse blanche, et armé de l’impitoyable compas, tourne autour de sa statue et la mesure et la juge et l’aime de toutes parts, et qui, touchant la réalité sans cesse, équilibrant les poids méthodiquement, mesurant en quelque sorte la vérité, n’est qu’un faiseur d’hommes et non un transmetteur d’idées. Je ne conçois pas, — à mon grand regret, — une sculpture « impressionniste ; » la matière, la forme et l’histoire s’y sont toujours opposées, et s’y opposeront toujours. Et je vois, sans trop le regretter même, une peinture d’ « impression, » et j’écoute une musique de « sensation. » Là est bien la différenciation essentielle entre ces formes distinctes et successives de l’art. La sculpture enfin ne doit, ne peut être qu’un art de réalité absolue, suggérant des émotions par son silence même, dégageant de la vie de son immobilité statique. Mauvaises, en ce sens, sont les conditions de « réceptivité » de la pierre, ou du marbre, ou du bronze, pour le plus sensible, pour le maladif désir de l’artiste moderne, reflet involontaire d’une société troublée, en perpétuelle transformation et en gestation scientifique et sociale. On m’objectera que la statuaire contemporaine est plus savante que jamais. J’y consens. Mais est-elle vivante et signifiante ? Est-elle uniquement expressive de son temps ? Est-elle, dis-je, vivante ou seulement apprise ? de tradition ou d’émotion ? De