Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 16.djvu/434

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

marins sont débarqués. Français, Russes, Anglais, Américains, Japonais, Italiens, seront ici à sept heures du soir. Les B… et le reste de notre bande arrivent à trois heures. Enfin, nous allons pouvoir changer de chemise et nous laver !

Sept heures et demie. — Un certain nombre d’Européens sont allés à cheval au-devant des troupes. Enfin le clairon sonne. Soixante-quinze marins défilent gaiement devant l’hôtel et se rendent à la Légation. Demain, ils se fractionneront pour aller occuper le Petang et l’hôpital catholique. Ce soir la rue des Légations est en fête. On rencontre les uniformes de toutes les nations. Que les fils du Ciel essayent donc de bouger ! Nous avons le sentiment d’être maîtres de la Chine et de tenir entre nos mains, avec nos cinq cents soldats, le gouvernement et la capitale.

1er juin. — L’effervescence ne paraît pas aussi complètement calmée qu’on s’y attendait. Toujours, devant l’hôtel de M. Chamot, stationne une foule houleuse aux intentions mal définies. De temps à autre, pour la faire circuler, on l’arrose avec la pompe à incendie. Cela donne lieu à un sauve-qui-peut assez réjouissant. Nous entreprenons cependant de visiter un peu Pékin dont nous ne connaissons guère que le chemin qui mène à la gare. Armés de revolvers, nous frétons des pousse-pousses et partons pour l’Observatoire situé sur la muraille de la seconde enceinte. On traverse, pour s’y rendre, une partie de la cité tartare à qui ses ruelles calmes et presque désertes donnent une physionomie si différente de celle de la cité chinoise. Du haut des murs, la vue s’étendrait sur toute la ville, si une poussière opaque qui flotte comme un brouillard n’en dissimulait la majeure partie. Ce qu’on en voit est entremêlé de terrains vagues, d’arbres rabougris, de canaux, de champs cultivés. Cela donne l’impression d’un immense camp retranché plus que d’une capitale. Je ne dirai rien des magnifiques instrumens de bronze construits par les Jésuites au XVIIe siècle, ni des quelques monumens que nous avons visités. Pékin a été maintes fois décrit, mieux que je ne le pourrais faire, par des gens qui l’ont visité plus à loisir et dans des conditions plus calmes.

Comme on ne peut, vu les circonstances actuelles, songer à se rendre au tombeau des Min et à la grande muraille, que presque tous les temples sont fermés, et que le séjour n’est pas enchanteur à l’hôtel, où la plupart d’entre nous n’ont pas même de chambre, nous décidons de repartir, dès aujourd’hui, si nous le pouvons.