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quelques-uns au passage. Bien entendu, la réforme de l’enseignement est chose accomplie, et elle s’est faite dans le sens de la vie moderne : on n’enseigne plus le grec et le latin à de pauvres enfans pour les faire mourir d’ennui ; car, à quoi bon consacrer « dix années de leur vie, les plus belles, les plus précieuses, à leur donner une teinture superficielle de deux langues mortes qu’ils ne parleront jamais ? » Mieux vaut les munir de langues vivantes et de sciences. Le peuple ne connaît plus la misère, depuis que les princes se sont faits « aubergistes » et tiennent table ouverte pour le pauvre monde. Tous les vieux abus ont disparu : la question et les lettres de cachet ne sont plus que de lointains souvenirs ; les impôts sont également répartis, l’agriculture est prospère, le commerce libre, et nous avons enfin abandonné nos colonies ! Quelle extravagance, en effet, de vouloir « porter nos chers compatriotes à deux mille lieues de nous ! Pourquoi nous séparer ainsi de nos frères ? Notre climat vaut bien celui de l’Amérique. Toutes les productions nécessaires y sont communes et de nature excellente. Les colonies étaient à la France ce qu’une maison de campagne était à un particulier : la maison des champs ruinait tôt ou tard celle de la ville. » La tolérance est entrée dans les mœurs, et l’on ne se souvient plus qu’avec horreur des crimes du fanatisme, ainsi que le prouve l’érection d’un monument expiatoire où se trouvent des statues de femmes agenouillées, emblème des nations demandant pardon à l’humanité des plaies cruelles qu’elles lui ont faites pendant tant de siècles. « La France à genoux implore le pardon de la nuit horrible de la Saint-Barthélémy, de la dure révocation de l’Edit de Nantes et de la persécution des sages qui naquirent dans son sein. » Pour prévenir le retour de ces atrocités, on a fermé les églises, ouvert les couvons, et marié les moines avec les religieuses. Le déisme tient lieu de religion et la « première communion » a été remplacée par la « communion des deux infinis, » où le catéchumène est solennellement invité à coller son œil au microscope, puis au télescope, ce « canon moral qui a battu en ruines toutes les superstitions. » Il va sans dire que les citoyens tous vertueux de cet État modèle vivent dans une allégresse perpétuelle et goûtent les joies pures de l’innocence. Comment donc se peut-il que dans cette humanité idyllique un crime vienne encore à se produire ? On aurait peine à l’admettre, si ce n’était qu’il faut un loup dans toute bergerie. Mais, lui-même, le sympathique assassin est digne de notre estime et de notre apitoiement : il réclame le châtiment qui le purifiera de sa faute ; c’est le fusillé par persuasion. Au surplus, la cité future conservera beaucoup des institutions des cités actuelles : il y