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simplement de la rencontre d’un modèle, un jour, dans une rue de Florence, Botticelli a créé dans l’art, dès la fin du Quattrocento, un idéal de beauté féminine qui, quatre siècles plus tard, devait supplanter dans nos cœurs l’idéal plus matériel des maîtres classiques. Là est, je crois, son principal mérite : mais c’est un mérite tout à fait indépendant de la valeur artistique de sa peinture ; et l’on se trompera toujours à vouloir expliquer par des considérations de critique d’art un attrait où l’art joue moins de rôle que l’imagination et les sens. De l’aveu des plus fervens de ses admirateurs, l’œuvre de Botticelli paraît plus belle en photographie que quand on l’approche directement : n’est-ce pas assez dire que les qualités du peintre ne sont pas ce qui, chez lui, nous touche le plus ?


Des qualités de peintre, Botticelli en avait de très réelles, et qui seront pour nous très intéressantes à étudier lorsque nous aurons enfin cessé d’être hypnotisés, comme nous le sommes encore, par le pâle regard immobile de la Primavera. Nous nous apercevrons alors que, loin d’être parmi son temps l’exception prodigieuse que veulent voir en lui ses derniers biographes, le vieux maître a été au contraire le représentant le plus typique de l’art de sa patrie, durant la période indécise et trouble où il a vécu. Aucun autre n’a plus docilement subi les influences diverses et souvent opposées qui, de 1450 à 1490, ont condamné les artistes florentins à une série incessante de stériles efforts et de tâtonnemens douloureux. Aucun autre n’a plus évidemment passé toute sa vie à chercher ce qu’il devait faire, à hésiter non seulement entre des inspirations différentes mais entre des manières différentes de se servir du métier qu’il avait en main. La carrière de Botticelli, telle que nous la révèlent ses œuvres quand on les examine suivant l’ordre de leurs dates, est à coup sûr une des mieux faites pour nous renseigner sur l’état fâcheux d’inquiétude esthétique qu’une invasion trop soudaine de l’humanisme a produit, durant un demi-siècle, dans la ville des Médicis ; état qui aurait abouti, sans doute, à une décadence irrémédiable de l’art florentin, si la forte voix d’un prophète n’était venue ranimer dans les cœurs, pour quelques années du moins, l’ancien idéal des Giotto et des Angelico. Il y a eu là, en fait, sous la domination trop vantée de Laurent le Magnifique, une décadence tout aussi caractérisée que celle dont, trente ans plus tard, le retour définitif des Médicis a donné le signal ; et de cette décadence personne ne nous fournit une image plus touchante que le peintre du Magnificat et de la Calomnie.