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l’univers entier. Ses actes étaient attendus, surveillés, commentés, comme ceux du personnage le plus puissant. Pendant ces derniers jours, les détails de sa maladie remplissaient les journaux, et tous les autres événemens passaient au second plan.

Si nous en faisons la remarque, c’est pour répondre à ceux qui affectent de croire que la religion est une force du passé, qui n’a plus qu’une corrélation artificielle avec le moment présent. À vrai dire, on n’entend soutenir cette opinion qu’en France, et seulement dans une minime partie de la population. Partout ailleurs, et aussi bien dans les pays protestans que dans les pays catholiques, le Saint-Siège et son représentant actuel excitent un profond respect. Nous avons lu dans quelques journaux français que le péril de mort encouru par le Saint-Père ne rencontrait partout que l’indifférence. Il s’en faut de beaucoup qu’une pareille assertion soit conforme à la réalité. Ce qui est vrai, c’est que l’émotion et la préoccupation ont été universelles et intenses. Les gouvernemens ne se sont pas cachés de les ressentir. Tous les souverains se sont empressés de faire prendre des nouvelles du Saint-Père et d’exprimer leurs sympathies pour sa personne, qu’ils fussent d’ailleurs hérétiques ou catholiques. C’est que tous, indépendamment des sentimens particuliers qu’éveille Léon XIII, avaient le sentiment que sa mort, si elle venait à se produire, serait dans le monde un événement d’une très haute importance. L’empereur allemand a manifesté cette impression avec l’insistance qu’il a l’habitude de mettre dans toutes ses manifestations. Nous ne parlerons pas des autres gouvernemens, ni de leurs représentans, à l’exception du gouvernement italien. On connaît la situation spéciale dans laquelle il se trouve à l’égard du Vatican. Néanmoins, on a dit tout de suite que, si le Pape venait à mourir, le roi Victor-Emmanuel ajournerait le voyage qu’il avait l’intention de faire en France et qui devait avoir heu dans quelques jours. Aujourd’hui, le fait est confirmé, et le voyage définitivement remis à deux mois. Le roi d’Italie veut-il être à Rome au moment où le conclave se réunira, ou tient-il, en dépit de son conflit avec le Saint-Siège, à donner une marque publique de la déférence qu’il éprouve pour lui ? Quel que soit le motif de sa détermination, il l’a arrêtée et l’a fait connaître tout de suite. Ce n’est pas au moment de la mort du Pape que le roi d’Italie peut quitter Rome, même pour aller à un rendez-vous qui avait été pris d’avance. Tout cela, quoi qu’en disent nos radicaux-socialistes, est très significatif. Ils ont beau fermer les yeux à l’évidence, la puissance morale de la papauté, et même son influence matérielle, ne sont pas en