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l’ingéniosité d’un Théophraste Renaudot. Elle devance son temps. De nos modernes sociétés pour la protection de la jeune fille, contre la licence des rues, de nos « justices de paix, » de nos « secrétariats du peuple, » de nos patronages ouvriers, elle conçoit l’idée et parfois esquisse l’ébauche. Et si, dans ces voies nouvelles et prématurément ouvertes, il ne lui fut pas donné de rien fonder de durable, elle parvient du moins, dans les entreprises où la vieille charité du moyen âge se sentait moins dépaysée, à former des institutions qui devaient lui survivre (Sociétés de Paroisses, Sociétés des Visiteurs des prisons). Tout cela, sans aucun doute, est très digne de louange, encore qu’il s’y mêle toujours une arrière-pensée, ou, pour parler plus juste, une pensée très avouée de propagande catholique. Assurément les « Mémoires sur l’Esprit de la Compagnie, que d’Argenson analyse, prescrivent au « Supérieur » de « toujours s’informer du spirituel, de la croyance et de la conduite chrétienne de ceux que l’on a visités[1] ; » mais l’historien, qui sait le lent progrès des choses, ne s’étonne pas qu’au sortir du XIVe siècle, avant Descartes, avant Bayle, avant Leibniz, des croyans fervens, groupés par leur amour pour l’Eglise, unis en vue de la défense et de la diffusion de leur foi, aient associé ou même subordonné leur charité à leur foi, l’humanité à l’Eglise, et qu’ils n’aient pas eu l’intuition anticipée de notre neutralité philanthropique et de notre bienfaisance purement humaine.

Mais, à côté de la propagande spirituelle, à côté de l’œuvre charitable et moralisatrice, il y eut dans l’entreprise de la Compagnie du Saint-Sacrement toute une suite de campagnes agressives, dont l’odieux s’accroît pour nous des procédés secrets qu’elle y employa. Ici encore, pourtant, sur quelques points, il est juste de mesurer ou de modérer le blâme. Nous indignerons-nous, par exemple, de l’ardeur des confrères à extirper les compagnonnages ouvriers, comme si leur conduite en cette affaire manifestait seulement, ainsi que M. Allier paraît le penser, une partialité aussi peu chrétienne que peu équitable en faveur de « patrons » exploiteurs contre des travailleurs syndiqués[2] ? Il est exact que les confréries de Compagnons paraissent être sorties, au XVe siècle, de la protestation des

  1. Remarquons, du reste, qu’il n’y a pas : « de ceux que l’on visitera. »
  2. Allier, p. 197-198.