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la mère avec son nouveau-né. Les sept premières années se passèrent à Alloway, où William Burns[1], ancien jardinier, s’était, depuis son mariage, établi comme pépiniériste. Bientôt la maison ne peut loger la famille augmentée ; William Burns va s’établir fermier un peu plus haut, à Mount Oliphant, au sommet des collines. Des difficultés nouvelles l’attendaient : le sol est ingrat, la redevance trop onéreuse. A mesure que les enfans grandissent, on les met au travail. Robert, à treize ans, aidait à battre la récolte de blé ; à quinze ans, il était le principal ouvrier de la ferme. Vie de fatigue, de privations et d’angoisses. On a beau épargner sur les salaires, économiser sur la nourriture, se nourrir de bouillie d’avoine et de choux cuits à l’eau, il devient impossible de faire face aux engagemens. La mort du propriétaire livre William Burns à un intendant brutal qui terrorise la famille, écrit des lettres insolentes et vient faire au foyer des scènes de menaces. On abandonne Mount Oliphant, à la Pentecôte de 1777. Robert avait un peu plus de dix-huit ans.

Il était déjà quelqu’un, ce beau gars robuste, au teint brun, au front solide, à la physionomie réfléchie, mélancolique et calme, mais prompte à s’animer du feu des passions allumé dans ses étonnans yeux noirs, ses yeux larges, hardis, étincelans, que Walter Scott ne pouvait oublier, « les plus beaux, disait-il, que j’aie vus dans une tête humaine. » Sa rude enfance avait mûri en lui une énergie qui, comprimée par toutes les rigueurs de la vie et toutes ses contraintes, frémissait, toujours prête à de soudains éclairs. Le père était un de ces vieux Écossais froids, silencieux, honnêtes, dont la vie, refoulée par le puritanisme, ne rayonnait plus à travers les jours, mais en soutenait bravement le poids. La mère, Agnès Brown, née sur un coin de terre où survivait le sang gaulois, gardait de sa race, avec certains traits de l’allure physique et sa chevelure d’un roux pâle, l’humeur vive et active, le goût des chansons et des ballades et cette cordialité alerte qui fit de Robert un si joyeux compagnon. L’enfant réunissait ainsi en lui les deux aspects de l’Ecosse et héritait de sa double énergie. Ce fut la force de concentration et de résistance qui se manifesta la première. Il a dit lui-même de

  1. Plus exactement, Burnes. L’orthographe consacrée de ce nom célèbre apparaît pour la première fois dans une lettre du poète à John Ballantine (avril 1786). Sur les tragiques circonstances où se produisit ce changement de signature, voyez Angellier, I, 330.