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grandes pelouses vertes, de petits cerfs errent en liberté, s’approchent curieusement pour flairer les intrus. Et cela distrait un peu et fait oublier l’abominable chose que l’industrie humaine est venue construire au milieu des pures merveilles de la nature. . •

Un matin, dès l’aube, nous prenons le train pour Garoet. La voie s’élève de plus en plus dans les montagnes et le paysage est ravissant. L’infinie variété des panoramas ne laisse prise ni à la fatigue ni à l’ennui. Ce sont des plaines, des vallées, des cols escarpés, des gorges obscures, des rizières et des forêts. L’ensemble est très peuplé, très cultivé, prodigieusement riche. Vers quatre heures du soir, nous sommes à Garoet, installés dans un drôle de petit hôtel où chacun a son pavillon séparé, ses bosquets, son jardin. La température est délicieuse : 25 à 26° ! Nous respirons avec délices.

Au fond de la plaine où nous nous trouvons s’élève le célèbre volcan de Papanajan. On y parvient en quatre heures, la moitié du trajet s’accomplissant en voiture et le reste à cheval. La première partie de l’excursion se fait à l’ombre d’une des plus belles forêts qui soient au monde. Des arbres immenses, de toutes les sortes et de toutes les couleurs, car il y en a de gris comme des oliviers, de blancs, de rouges, se mêlent aux lianes, aux orchidées et à des fougères surprenantes, hautes de cinquante pieds, dont le feuillage frêle et dentelé s’incline avec une inexprimable grâce. On monte, on grimpe sans chaleur, sous cette voûte admirable à travers laquelle pas un rayon de soleil ne pénètre ; on rencontre des cascades et des torrens. Et il vient des envies de s’étendre sous cette ombre fraîche, de goûter dans le grand silence du jour un repos alangui. Mais voici que l’aspect change ; la végétation devient rabougrie, puis cesse tout à fait. Une forte odeur de soufre se répand dans l’air. Maintenant, c’est au milieu de laves et de rocs abrupts que s’effectue l’ascension, pendant que, au-dessous, la mer de verdure étincelle et qu’au loin les plaines fertiles, semées de rizières et de bouquets de palmiers, se perdent et s’estompent dans la chaude buée du jour. Enfin on arrive à un immense cirque aux parois à pic, qui est le cratère du volcan. Lors de la dernière convulsion du monstre, une montagne entière a dû tomber dans ce gouffre et le combler en partie. Mais les feux ne sont pas éteints et la chaudière bout encore. Le sol est uniformément jaune, d’un jaune aveuglant. Des jets de vapeurs empestées giclent de tous côtés avec une extraordinaire violence,