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« on fera écrire par quelqu’un des confrères. » Sa « voie » est constamment la voie excitative. « La Compagnie, disent les documens cités par d’Argenson, n’agit jamais de son chef ni comme corps. » « Jamais la Compagnie n’agira par elle-même, répètent les statuts de Poitiers ; c’est par le moyen des particuliers qu’elle aura recours aux grands vicaires, aux évêques, » au Pape même, si besoin[1], « pour les choses spirituelles ; » — « à la Cour, aux gouverneurs et intendans, aux magistrats, aux juges, » aux amis mondains influens, « pour les choses temporelles. » — Et, dans ces démarches de conseillère ou de solliciteuse, il ne faut pas qu’elle soit, si peu que ce puisse être, entr’aperçue. Il faut que les émissaires qu’elle fait mouvoir la couvrent. S’ils sont membres de la Compagnie, ils devront, — orgueilleux par docilité, — chercher à donner l’impression qu’ils agissent à titre privé, de leur propre mouvement, écarter tout soupçon qu’ils agissent par ordre ou par instigation. Si ce sont des étrangers que ces membres lancent sur « les puissances, » ceux-là seront bien aises, par amour-propre, de revendiquer l’initiative qu’ils croient avoir, et le mérite des bons conseils qu’on leur souffle.

Derrière ces instrumens, ou inconsciens ou interposés, dont les uns sont discrets par ignorance, et les autres par obéissance, une enquête sur la Compagnie aurait pu malaisément atteindre le moteur dirigeant. En 1659, « les officiers de la ville de Blois se tourmentaient fort pour la découvrir, parce qu’elle faisait souvent des coups de force et de grandes œuvres qui surprenaient. » Y réussirent-ils ? C’est douteux, car ces « coups de force, » la Compagnie les faisait avec l’appui de Son Altesse Royale le Duc d’Orléans, retiré à Blois. Or, le Duc d’Orléans, dit d’Argenson, lui donnait cet appui « sans la connaître[2]. »

Donc le secret était bien, en vérité, comme ne craint pas de le proclamer d’Argenson, « l’âme de la Compagnie. » Mais pourquoi ? Pourquoi ses conducteurs lui répétaient-ils, sous toutes les formes, que ce secret devait être son « grand amour » et « la première des voies qui formaient son esprit ; » — que « lui seul » il la distinguait « d’avec toutes les autres Compagnies[3], »

  1. D’Argenson (1639), p. 83.
  2. Voir D’Argenson, p. 195 et passim.
  3. D’Argenson, aux années 1659 et 1660, et p. 272 : « Le secret est le maintien de sa force ;… sans lui, elle se perdra. »