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qu’une autre, alors que des mondes nouveaux sont venus prendre dans la civilisation générale une si large place, avec des idées, des mœurs, des structures ou des appellations politiques si différentes de celles du passé ? Léon XIII a compris que l’Église devait se mettre en dehors d’un parti quelconque, quelque ancien, quelque respectable qu’il fût par les souvenirs qu’il rappelle. Il était le pape des catholiques allemands, américains, français, espagnols, de tous enfin. Il devait respecter partout la volonté nationale qui fait les gouvernemens et les défait à son gré, et se contenter de leur demander à tous la liberté dans la limite des lois générales, pourvu que ces lois ne fussent pas elles-mêmes antilibérales et oppressives. C’est la conception qu’il a eue de son rôle. On l’a trouvée originale parce que, il faut bien l’avouer, tous ses prédécesseurs ne l’avaient pas eue aussi clairement que lui ; mais, si on lit l’Évangile, on la reconnaîtra conforme aux préceptes de Celui qui a dit : « Mon royaume n’est pas de ce monde ; rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. » En un mot, Léon XIII n’a voulu régner que sur les âmes, laissant les souverainetés temporelles s’exercer dans leur domaine propre. Là a été le caractère distinctif de son long pontificat. On a essayé de le détourner de la voie où il était entré ; il a rencontré bien des résistances ; il n’a pas toujours réussi à les dompter. Mais il s’est montré indomptable lui-même, et a persévéré jusqu’au bout, malgré des déceptions qu’il estimait passagères, avec la conviction que l’avenir le justifierait.

L’insuccès partiel, local et peut-être, en effet, provisoire de cette politique ne doit pas faire oublier les conséquences heureuses qu’elle a eues sur tant de points du monde. À prendre les choses dans l’ensemble, il n’est certainement pas vrai de dire que le catholicisme soit en décroissance, et l’autorité du Saint-Siège en recul. L’émotion causée par la maladie de Léon XIII et les préoccupations que tous les gouvernemens éprouvent au sujet de son successeur montrent qu’il n’en est rien. Dans les pays où la majorité est protestante, comme les États-Unis, l’Angleterre, l’Allemagne, les minorités catholiques sont plus actives que jamais, et on compte aussi plus que jamais avec elles. Ce n’est pas en Allemagne, à coup sûr, que la politique de Léon XIII a échoué. Lorsqu’il est arrivé au Saint-Siège, le Culturkampf faisait rage. M. de Bismarck avait dit fièrement : « Nous n’irons pas à Canossal » Il n’était pas dans les intentions du Souverain Pontife d’imposer une humiliation à un gouvernement quelconque. Les souvenirs de Canossa étaient loin de sa pensée. Son action était douce et conciliante. Il ne cherchait pas l’apparence d’une victoire, encore