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traditionnelles : Dieu me l’a donnée, gare à qui la touche ! ramenées par lui à leur sens primitif, à leur pleine réalité. Puis, un héraut dit : « Napoléon, empereur des Français et roi d’Italie, est couronné, consacré et intronisé. Vive l’Empereur et Roi ! » Les acclamations éclatèrent et retentirent de l’église sur la place, dans les rues. « Les femmes, les enfans, » rapporte un soldat français, qui sortait de la Révolution, un des sauveurs de la République en Fructidor, « les femmes, les enfans pleuraient dans les rues ; le délire était à son comble. Les plus grands seigneurs de l’Italie se disputaient à qui lui baiserait les mains le premier à sa descente de voiture ; il y eut des Italiens du peuple qui se mirent à plat ventre dans une des rues où passa sa voiture, risquant d’être écrasés par elle[1]. » Tout n’était point servilité dans cette exubérance : l’homme était le plus grand que l’Italie eût vu passer, depuis Charlemagne, et cet homme, né du sang italien, parlant la langue italienne, rendait à l’Italie un nom dans l’univers. En lui, c’était une patrie ressuscitée, leur avenir de nation que saluaient les Italiens. « A Milan, a dit Chateaubriand, un grand peuple réveillé ouvrait un moment les yeux, l’Italie sortait de son sommeil et se souvenait de son génie comme d’un rêve divin. »

Napoléon estimait Gênes aussi nécessaire à la sûreté de l’Empire du côté de la mer, que le Piémont du côté de la terre. Les Anglais à Gênes, c’était la Provence menacée. En outre, il avait besoin de marins exercés. Les Liguriens, leur doge en tête, vinrent solliciter leur réunion à l’Empire. Napoléon la motiva sur les représailles provoquées par l’Angleterre et, pour la première fois, il prononça, dans un manifeste, ce mot qui devait recevoir, dans sa politique, une si prodigieuse extension : « Le droit de blocus, que les Anglais peuvent étendre aux places non bloquées et même à des côtes entières et à des rivières, n’est autre chose que le droit d’anéantir à leur volonté le commerce des peuples. » Lucques fut ajoutée à l’apanage d’Elisa. Le royaume d’Etrurie fut organisé à la française et placé sous la suzeraineté. Ainsi se dessinait dans la pensée de Napoléon et se réalisait sous sa main l’idée d’un grand empire, cet empire d’Occident dont il menaçait l’Angleterre en 1803, suzerain des terres, des armées, du commerce de l’Europe centrale, flanqué de ses États vassaux,

  1. Mémoires de Bigarré.