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opposant leur coalition à celle des Anglais, coalisé contre leur blocus, arrivant à les bloquer eux-mêmes, à les ruiner dans leur commerce, à leur rendre la mer inutile et stérile, à leur interdire tous les atterrissemens : mesure de guerre transformée en système politique, où s’ajustent étrangement les propositions de la propagande républicaine, les ambitions de l’Empereur, l’hégémonie de la République française sur les Républiques satellites, de la « grande nation » sur les nations secondaires. La formule de 1804 : République française, Napoléon empereur, s’étend ainsi du gouvernement interne de cette République à la constitution de l’Europe sous la suprématie française.

Un de ces idéologues que Napoléon dénigrait volontiers, rallié, d’ailleurs, et « absorbé » dans le Sénat, Garat, ministre du Directoire à Naples, en 1798, écrivait alors au général Bonaparte : « Je vous avoue, général, que l’idée d’une révolution en Italie, par les Italiens, me fait horreur… La seule chose qui serait bonne, et qui le serait extrêmement, ce serait de donner ici à la France une influence très prépondérante… Le résultat de toutes mes méditations a été de me persuader profondément qu’avec de la force et du pouvoir, en prenant l’espèce humaine telle qu’elle est, on pourrait en créer une autre, en quelque sorte, dans laquelle on ne verrait presque rien de la stupidité et des folies de la première… C’est à vous à multiplier les essais pour multiplier les méthodes. » Ainsi spéculaient, en leur âge héroïque, ces hommes qui, en 1805, gémissaient, à huis clos, sur la liberté perdue et la destruction des titres du genre humain. Cette philosophie se retrouve, presque mot pour mot, dans les instructions que Napoléon dressa pour le prince Eugène de Beauharnais, le jour, 7 juin 1805, où il le déclara vice-roi d’Italie. Il écrivit là, en quelques lignes, son traité du Prince : « Il viendra un temps où vous reconnaîtrez qu’il y a bien peu de différence entre un peuple et un autre… Montrez pour la nation que vous gouvernez une estime qu’il convient de manifester d’autant plus que vous découvrirez des motifs de l’estimer moins… » Dominer en méprisant : « de la force et du pouvoir, » prétendre transformer les hommes après les avoir conquis, cette domination engendre la haine, comme cette conquête la révolte.

Cependant la pensée de Napoléon vole sur l’Océan. Il calcule, il conjecture les mouvemens de l’ennemi, les évolutions de ses vaisseaux. Il se représente les Anglais, éperdus, sur toutes les