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Je ne puis avoir un vent qui ne soit pas contraire… Le fait qu’ils ont rallié les vaisseaux espagnols à Cadix semble me prouver qu’ils n’ont pas l’intention d’aller aux Indes occidentales, ni au Brésil, mais bien de débloquer le Ferrol et d’aller de là en Irlande ou à Brest. » Il pense à les y poursuivre. Puis, son instinct de chasseur de mer lui suggère l’idée des Antilles. Il écrit, le 5 mai, devant Tétouan : « Je ne puis pourtant pas aller aux Antilles sur de simples suppositions, et, d’autre part, si je tarde, la Jamaïque peut être perdue. » Le 10 mai, par le travers du cap Saint-Vincent, il reçoit cette information : « Les opinions au sujet de la destination de l’armée combinée sont diverses : d’après les uns, elle va en Irlande ; d’après les autres, aux Indes occidentales, en particulier, à la Jamaïque. » Le même jour, le contre-amiral Campbell, alors au service du Portugal, donna l’assurance formelle que Villeneuve était parti pour les Indes occidentales ; Nelson n’hésita plus et fit voile sur les Antilles. Le vent favorable, son audace habituelle, et il surprend Villeneuve, le déroute, le déconcerte et lui barre le chemin ! Cependant les Anglais, qui un instant avaient craint d’être forcés de lever les blocus, demeurent devant Brest, Ganteaume ne sort pas, les flottes anglaises continuent de croiser dans la Manche, elles s’y concentrent, au lieu de se disperser. C’en est fait de l’ « immense projet » de Napoléon.

Le temps approche où cette combinaison, la plus vaste qu’il ait formée, va s’accomplir, si ses calculs sont justes, si Villeneuve a reçu, compris et exécuté les instructions nouvelles qu’il lui a adressées et qui lui prescrivent, sans attendre Ganteaume, de revenir sur le Ferrol[1] : il a dix-huit vaisseaux, il y trouvera quinze vaisseaux français et espagnols, il ralliera ainsi une flotte de trente-cinq vaisseaux qui lui permettra de débloquer Brest et de se présenter dans la Manche avec Ganteaume et une force totale de plus de cinquante vaisseaux. Le 6 juin, Napoléon écrit à Decrès : « Je serai à Fontainebleau, mais pour vous seul, le 20 messidor (10 juillet). » Il ne compte sur Villeneuve, devant le Ferrol, que du 20 au 29 juillet ; devant Brest, du 29 juillet au 8 août ; du 8 au 18, devant Boulogne. Il partit de Turin le 8 juillet. Le 11, il arrivait à Paris, et il en était temps, s’il voulait prévenir les coalisés.

  1. A Decrès, à Lauriston, 12 avril ; à Villeneuve, 14 avril 1805.