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Peuvent-ils compter à fond sur la Russie ? N’est-il pas à craindre que, tout d’un coup, le tsar ne trouve son avantage à traiter avec Napoléon, à lui abandonner l’Occident moyennant que Napoléon lui abandonnera l’Orient ? La réunion de Gênes emporte la balance. « Nous ne pouvons faire des acquisitions en Italie que par une guerre heureuse ou par l’appareil de forces capables d’en imposer à Napoléon, » écrit Cobenzl à Colloredo[1]. Mais il convient de filer les choses jusqu’à la réunion de cette force imposante, de laisser, ce qui serait une étrange fortune, Napoléon s’embarquer pour l’Angleterre, en le berçant d’une fausse sécurité. Alors on serait maître du continent, et il périrait, bloqué dans sa conquête. D’où l’obligeance de l’Autriche à reconnaître « les nouveaux arrangemens d’Italie, » son empressement à rassurer sur tous les tons le crédule La Rochefoucauld, chargé d’affaires de France à Vienne. « C’est pour prolonger la sécurité de Bonaparte jusqu’au temps où il apprendra la marche des Russes, que nous tenons ici une conduite assez modérée pour ne pas trahir le secret de nos vues, » écrit Cobenzl[2] ; et Gentz, dans un de ses rapports à M. Hammond : « Il vous est connu, monsieur, par quels artifices nous avions trompé Bonaparte sur nos véritables intentions et avec quel bonheur nous y avions réussi jusqu’au commencement du mois d’août. »

Des conférences militaires eurent lieu à Vienne entre Schwarzenberg et Mack pour l’Autriche, Winzingerode pour la Russie : on y concerta le plan d’opérations. D’après un plan russe, élaboré en Russie, et communiqué à Vienne, l’Autriche devait opérer surtout en Italie, joindre des forces à celles des Russes en Allemagne ; d’autres Russes, appuyés par les Suédois, opéreraient en Hanovre et en Hollande ; les Prussiens feraient le siège de Mayence, opéreraient sur le Rhin, et, après avoir pris Mayence, se porteraient en Belgique, « si cette partie, comme la Cour de Londres l’avait proposé, doit être leur récompense. » Ils se compenseraient là de ce que la Russie leur prendrait en Pologne. Mais on n’aborda point ces questions litigieuses qui auraient risqué de tout brouiller. On se renferma dans les questions militaires. L’accord était formé le 16 juillet. Le 9 août, François II accéda officiellement au traité du 11 avril. « Bonaparte, écrit Cobenzl, le 2 août, si même il veut mettre ses armées en mouvement à

  1. Cobenzl à Colloredo, 12 juin 1805. Fournier, Gentz und Cobenzl.
  2. Lettres de Cobenzl, 22 août, 23 octobre 1805, rétrospective.