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des unités de nos forces navales va s’imposer bientôt par les difficultés que l’on éprouve à les tenir réunies, à les loger dans une même rade fermée. Et cela encore en raison de l’accroissement des dimensions des bâtimens, de leur longueur surtout. On creuse à grands frais, en ce moment, certaines parties de la rade de Toulon que l’on n’avait jamais senti le besoin d’utiliser jusqu’ici. Il est même douteux que ces travaux suffisent, car il deviendra nécessaire d’élargir les intervalles entre les corps-morts[1] du mouillage actuel pour faciliter les manœuvres d’entrée et de sortie de bâtimens dont la longueur augmente toujours et atteindra couramment 150 mètres.

Plus nous allons et plus, du fait même du « progrès » des déplacemens, l’aménagement de nos rades militaires devient dispendieux. On peut le regretter, on peut même trouver là un argument en faveur de la transformation radicale de la force navale et de l’emploi exclusif des petites unités, des sous-marins, par exemple. Mais, outre que les sous-marins coûteront cher aussi, pour d’autres motifs, ne fût-ce que par la nécessité où l’on sera d’en multiplier le nombre pour obtenir des résultats sensibles ; outre qu’ils grandiront et se compliqueront à leur tour, il faut bien reconnaître qu’il y a des méthodes de guerre, la guerre du large, la guerre commerciale, les opérations sur les lignes de communications économiques, dont on ne saurait leur confier la réalisation. Il s’en faut donc que la disparition des grandes unités de combat puisse être escomptée comme un bénéfice prochain. En attendant, puisqu’on avoue au contribuable que la Vérité lui coûtera 39 millions et l’Ernest-Renan 33 (annexes du budget de 1903, tableaux), on devrait aussi l’avertir que ces prix de revient déjà respectables veulent être majorés de 40 à 50 pour 100 pour tenir compte de dépenses corrélatives à la mise en service de ces grandes unités, telles que l’aménagement et le creusement des ports et des rades, telles que la construction de cales très longues et très hautes, d’immenses bassins de radoub, d’appontemens, etc. et cet avertissement serait nécessaire : il nous sera permis de dire, en effet, à la fin de ce chapitre où nous avons parlé de la « force morale, » qu’il ne suffirait pas de développer celle du personnel de la marine, et que ce souci serait vain si nous ne pouvions compter sur la

  1. Points d’amarrage constitués à l’avance sur les emplacemens favorables d’une rade et qui dispensent les navires de mouiller leurs ancres.