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fans, parce qu’ils ne vivent qu’à la surface. C’est pourquoi, tant de charme aient les enfans pour nous, pas un homme, quoi qu’il dise, ne voudrait être enfant une autre fois. Les anciens étaient des enfans. Les savans, qui donnent tout à l’Intelligence, sont de vieux enfans qui n’ont pas grandi. Les enfans ne se lassent pas de jouer ; et les savans ne se lassent pas de comprendre, comme ils disent. Ils vantent le jeu de l’Intelligence, comme la source de tous les biens. Cela était bon à dire sous le couvert de cette fameuse ignorance qui, soi-disant, faisait le deuil sur le monde, et devait faire à jamais le malheur du genre humain. Mais on ne s’y prend plus, si l’on sait un peu ce que c’est. J’espère à bien davantage, où les savans ne m’avancent point : j’espère à la vie ; et plus j’y brûle, hélas ! et plus j’espère en vain. Car ce n’est pas le feu, ni l’amour, ni moi qui suis de manque : c’est l’aliment. Et ils viennent à mon secours avec leurs trois vérités et demie, qui changent tous les cent ans, qui toutes me condamnent, en trois cent mille livres rongés des vers ! Voilà ce qu’ils portent à ce foyer, qui ne dévorerait pas trois cent mille livres, mais trois cent mille fois trois cent mille. Ô les bons docteurs ! Ô les grands savans ! Qu’ils sont puissans ; qu’ils sont secourables ! Le bon papier dont ils me nourrissent ! J’ai vu un sorcier qui en faisait encore plus, avec les paysans de mon village. Du moins il les trompait. Il les tenait par le pouce, et, disait-il, par-là il faisait passer en eux l’esprit de vie. Quelle forte tête c’était, ce paysan ! Il a guéri plus d’un malade ; à tout le moins, il ne l’a pas empêché de guérir.

A. Suarès.