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Tel un aigle qui fuit emportant son butin,
Vainement passe la tourmente au souffle rude.
Rien jamais n’a troublé la sereine attitude
De ce cœur vieux déjà, mais toujours enfantin.

Le vent épuise en vain sa colère inutile
Sur l’arbre douloureux qu’il outrage et mutile.
La sève monte et laisse un espoir fécondant ;

Et, si quelque blessure éternelle est ouverte
Quand la tempête arrache une branche en grondant,
Sur l’impassible tronc germe une pousse verte.


LES FRÈRES


Enfans du même chêne, issus de glands jumeaux,
Dans la même forêt, sur la même colline,
Caressés par le jour qui croît ou qui décline,
Ensemble ils ont poussé leurs robustes rameaux.

La même sève enflant leur fraternelle écorce,
Les bras désespérés l’un vers l’autre tendus,
Sans confondre jamais leurs frissons éperdus,
Ensemble ils ont grandi pleins d’amour et de force.

Et, sans jamais unir leurs vastes frondaisons,
Sous la mousse de bronze et d’or qui les cuirasse,
Parmi les vigoureux ancêtres de leur race
Tous deux ont contemplé les mêmes horizons.

Or, demain, au tranchant des haches meurtrières,
Les arbres tomberont ainsi que des fétus,
Sentant frémir autour de leurs troncs abattus
Les rêves impuissans et les vaines prières.

Ils ne gémiront plus demain au gré des vents ;
Mais peut-être un foyer, dans ses flammes prochaines,
Mêlera l’âme vague et sereine des chênes
Qui n’auront pu s’étreindre et s’enlacer vivans.