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Et, somme toute, l’auteur a réalisé le but qu’il s’était proposé. C’était d’abord de décrire son coin de pays, de faire entrer dans la littérature les aspects de la nature cévenole et de faire comprendre l’espèce de la plante humaine qui y pousse. Grâce à lui, cette sauvage partie de la France a eu son peintre, comme d’autres ont su dire la mélancolie de la Bretagne, la gaieté de la Touraine, la mollesse du Berry, la douceur de l’Anjou. Dans ce cadre évolue tout un peuple de personnages qui ont l’accent du terroir, et qui en outre enferment une parcelle de vérité humaine. La plus haute ambition d’un romancier comme d’un écrivain de théâtre est sans doute de créer des types résumant en eux toute une catégorie d’individus : Ferdinand Fabre y est plusieurs fois arrivé à force d’observation minutieuse ; et, dans les scènes de la vie de campagne, sa comédie devient souvent une comédie de caractères. Voici, à ne les pas compter, des types de vieilles paysannes, âpres au gain, et dont l’avarice sordide devient presque excusable, tant la question du pain quotidien se pose pour elles avec âpreté. Voici l’usurier, terreur de ces campagnes, le paysan madré et la simple brute. Et ce sont aussi de gracieuses figures de jeunes filles, la dévote Sévéraguette, l’innocente Marie Galtier, et c’est le bataillon des coquettes, filles de plaisir et filles d’argent.

Dans ces études de mœurs villageoises, Ferdinand Fabre a des émules et des maîtres. Dans la peinture des choses de l’Église, qu’il a été presque seul à tenter, nous n’avons personne à lui opposer. C’est en elle-même qu’il faut juger cette peinture ; aussi bien les qualités comme les lacunes et les insuffisances en sont assez apparentes. Tout ce qui est extérieur y est excellent. L’auteur a su nous donner l’impression d’un milieu très particulier, envelopper le tableau de l’atmosphère spéciale. Usages, coutumes, travers et manies, tout y est indiqué d’un trait juste, par un homme qui sait l’importance et la signification de chaque détail. Un prêtre n’entre, ni ne sort, ni ne salue, ni ne parle comme un laïque. Les sujets de conversation tournent dans un cercle, toujours le même, et on se passionne pour des questions dont un profane ne soupçonne même pas l’intérêt et la gravité. Tous ces membres de la grande communauté ecclésiastique, nous les voyons paraître devant nous dans leur attitude vraie, tantôt dans l’éclat des grandes solennités et tantôt dans l’humilité du devoir quotidien. Nous apercevons très nettement le desservant de campagne dans sa rusticité, l’archiprêtre dans son importance et le prélat romain dans sa finesse de diplomate. Nous devinons encore l’humeur de chacun d’eux. Celui-ci est jovial, cet autre emporté, ce troisième envieux,