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occupé que de son ministère religieux, et l’avait toujours rempli avec distinction. L’humble origine du nouveau pape est une garantie de plus de son mérite, qui a été la seule cause de son élévation, d’abord lente et difficile, et finalement triomphante. Nous n’avons donc, en tant que Français, aucun regret à exprimer. Le cardinal Rampolla nous aurait sans doute inspiré de la confiance ; mais il était secrétaire d’État depuis seize ans, et, après un aussi long laps de temps, il y a toujours des parties usées dans une politique quelconque. Si le cardinal Rampolla avait de chauds amis, il avait des adversaires qui ne l’étaient pas moins. Le succès de sa candidature était difficile. Cependant elle a eu, jusqu’aux derniers scrutins, une attitude très ferme, et a réuni à peu de chose près la majorité dans le Sacré-Collège : on sait qu’il faut une majorité des deux tiers pour qu’il y ait élection. Un pareil fait est trop significatif pour que le nouveau pape n’en ait pas été frappé, et pour qu’il n’y trouve pas un conseil. Quelle que doive être d’ailleurs sa politique, il est probable que Pie X lui-même éprouverait de l’embarras à la définir dès maintenant avec précision. Il a été élu parce que, jusqu’à ce jour, il n’en avait eu aucune, et ce n’est pas en quelques heures qu’il peut arrêter ses idées sur des sujets qui ne lui sont pas encore très familiers. Tout ce qu’on a dit à cet égard dans les journaux n’est que fantaisie. Le plus probable est qu’à son point de départ, Pie X n’aura d’autre préoccupation que de continuer Léon XIII. L’Église est avant tout le domaine de la tradition, et peut-être est-elle à ce point de vue le plus grand des gouvernemens de la terre, parce que c’est celui qui a le plus de suite dans ses idées et de continuité dans son action. Quand même il le voudrait, — et rien, à coup sûr, n’est plus loin de sa pensée, — le nouveau pape ne pourrait pas modifier profondément la nature et le caractère du dépôt qui vient d’être remis entre ses mains. Il y a dans l’œuvre de Léon XIII des parties impérissables. Le coup d’aile par lequel il s’est dégagé de l’étreinte des partis politiques, et s’est élevé au-dessus des formes contingentes des gouvernemens, portera longtemps ses successeurs. Pie X n’a certainement aucune objection à faire à la République. Que lui importe ? Quant à ses sentimens envers la France, il les a exprimés aussitôt après son élévation, en recevant nos cardinaux. « Considérez-nous, leur a-t-il dit, comme un ami. Nous le sommes de tous les peuples ; mais nous conservons une prédilection particulière pour la fille aînée de l’Église. » Si nous avions pu douter de ses dispositions, ce langage aurait dissipé toute incertitude.