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réveillent un dormeur. Il s’étire et retrouve vaguement la fascinante ondulation de la danseuse qui n’a point changé de place. Il se retourne, il se rendort, et reviendra de même passer la nuit suivante, car il en faut plusieurs pour achever une de ces soties qui suivent un Boddhisatva à travers deux ou trois de ses vies successives.

Sous quelques-uns de ces abris, les groupes sont bien beaux. Là règne l’or des draperies ascétiques sous le bronze affiné des visages. Là règne la gravité des gestes alentis, la paix du sourire monacal. On s’étonne en plongeant le regard dans l’ombre de ces longs pavillons, si près des bruissemens de la multitude, on s’émeut du silence de cette demi-nuit où pointillent des centaines de têtes. Religieux envoyés de tous les monastères des deux Birmanies, quelques-uns venus du Siam. du Thibet, de Ceylan, ermites des montagnes Shans, on sent d’abord qu’ils sont à part, retranchés du peuple. D’un œil indulgent de sages, ils regardent ces traditionnels ébats, mais ils ne se mêleront pas à ces jeux d’enfans. A tout ce que je vois ici leur sérieuse présence prête un caractère significatif et profond. Ils représentent la vieille religion nationale, qui, depuis la venue du bouddhisme en Birmanie, a inspiré, dirigé combien de fêtes et d’assemblées semblables à celles-ci !

Quelques-uns logent à part, en petits groupes, sous des tentes plus petites. Accroupis sur des tables, entre des statues saintes dont ils répètent exactement l’imperturbable attitude, ils nous regardent passer. L’un d’eux surgit d’une pile de livres, si pareils, si nombreux qu’on dirait une édition tout entière qu’il est venu mettre en vente. Sans grand espoir de nous faire comprendre, nous l’avons interrogé. La vieille figure de buis s’est éclairée un peu ; un sourire l’a détendue ; et voici qu’il prononce quelques mots en Anglais. « De Maulmein ; » il vient de Maulmein, au-delà de Rangoon, et ces volumes sont des « Bibles bouddhiques, » les Pitakas que sa famille a fait imprimer sur son conseil, en manière d’œuvre pie, pour qu’il les distribue aux couvens de Rangoon. Autrefois, avant d’être novice, il était élève des missionnaires anglais ; il sait ce que c’est que l’imprimerie et de là son idée. Très supérieurs, ces volumes commodes, aux étroites palmes manuscrites, et nul doute que ce cadeau ne soit apprécié dans les monastères. Et comme nous le complimentons, comme nous disons notre admiration, la vieille figure