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congestionné ; l’haleine du choléra est sur les quartiers indigènes. Il y a des jours où les blanches rues aveuglantes sont vides ; déjà des chevaux sont tombés, abattus par les coups de chaleur ; les voitures ne circulent plus, mais les rubans des appareils télégraphiques ne cessent pas de dérouler en cliquetant les commandes d’Europe : Liverpool, Londres, Manchester demandent à Calcutta les cours du coton et du thé. La Bourse ne ferme pas. Le personnel des bureaux se réduit à l’indispensable, mais le chef fait partie de cet indispensable.

Peu d’amusemens : des promenades à cheval, des garden-parties, les courses, les tournois de polo que l’on va suivre au Maidan. Point de théâtre comme à Saigon ; rien non plus qui ressemble aux séances de café, aux apéritifs, aux manilles. Ils résistent bien à l’ennui ; c’est une des « supériorités anglo-saxonnes. » De loin en loin pourtant il faut parcourir des kilomètres : ils vont dans l’Assam, le Penjab, l’Himalaya, à Ceylan, — cette fois en Birmanie, poussés par le besoin national d’un petit changement (a little change).

Ce pays-ci leur a plu. Ils en goûtent le charme aimable comme tous les Anglais venus de cette Inde dont les multitudes, les aspects de souffrance, de stupeur et de splendeur, l’inconcevable religion, confusément les opprimaient. Bénarès et la démence de ses temples suffocans sont restés dans leur mémoire : a filthy place, — un lieu dégoûtant, — et le contraste leur fait aimer le joli culte bouddhique.


D’autres compagnons promènent avec nous leur âme occidentale sur le vieux fleuve indo-chinois. — Deux demoiselles venues d’Angleterre avec des lettres d’introduction pour les capitaines de bateaux et les fonctionnaires. Elles s’étonnent peu, lisent leurs romans anglais et font de l’aquarelle. — Un officier en retraite qui dort mal et soigne ses insomnies par des navigations. A Rangoon, il a sauté du bateau de Londres dans celui de l’Irraouaddy qui le ramène à Rangoon où il reprendra le bateau de Londres, sans avoir passé quatre nuits à terre. — Un civil servant de l’Inde, malade, cachectique, squelette ambulant, qui revient d’un sanatorium des montagnes Shans où il ne s’est pas guéri. C’est l’effet de deux saisons chaudes passées dans les plaines de l’Ouest : la saison chaude dans les plaines, on sait dans l’Inde ce que cela veut dire. Il était à la tête d’un « district de famine »