Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/193

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur 862 au-dessus de quarante-cinq ans. Et ils peuvent répondre encore : à l’usine L…, aux Verreries de Saint-Denis, 32 ouvriers ont dix ans de services ; 36, quinze ans ; 56, vingt ans ; 10, trente ans ; soit 134 en tout sur 862, soit un huitième environ du personnel ouvrier ; et c’est-à-dire que les sept huitièmes de ce personnel sont à l’usine depuis moins de dix ans. Je veux bien qu’ils ne meurent pas tous, heureusement, et même qu’ils ne soient pas tous frappés, les vieux ouvriers, au-dessus de quarante-cinq ans d’âge et de dix ans de services ; mais ils ne demeurent pas, ils ne se fixent pas, ils ne s’enracinent pas, pour des causes multiples. Nous avons distingué, dans le travail du verre, six catégories professionnelles, mais il y a des spécialités de spécialités : il y a souffleur et souffleur. Les souffleurs de verre à vitres ne sauraient pas faire les bouteilles ; ceux qui font les bouteilles s’acquitteraient assez mal du soufflage des cristaux. « Il résulte de ces spécialités mêmes, du nombre limité des verreries de chaque espèce, et de l’éloignement de ces verreries les unes des autres, que les verriers sont une classe d’ouvriers essentiellement nomades ; ils ne se disent pas Lorrains, ou Flamands, ou Provençaux ; car, s’ils sont nés dans le département de la Meurthe, ils l’auront peut-être quitté dans la première enfance pour aller avec leur famille dans le département du Nord, où ils ne seront peut-être restés que peu d’années, pour aller ensuite à Givors ou à Rive-de-Gier. »

Le mal n’a fait que s’aggraver par la concurrence : concurrence des patrons entre eux, depuis que les usines se sont multipliées ; et concurrence des ouvriers eux-mêmes, depuis que la caste s’est ouverte ; depuis qu’est abandonnée l’ancienne loi du métier par laquelle il était interdit aux verriers de faire des apprentis qui ne fussent pas de leur sang ; depuis qu’aux ouvriers de race, à l’aristocratie verrière, se sont mêlés des corniaux, — c’est ainsi que l’on nomme ou que l’on nommait ceux des verriers qui ne sont pas du sang[1]. Depuis lors, comme toujours et plus que jamais, d’un établissement à l’autre, et du Nord à la Loire, une forte portion de la population ouvrière des verreries roule, « justifiant du reste assez généralement le proverbe, que pierre qui roule n’amasse pas mousse ; et, quoique les salaires des verriers soient presque tous très élevés, ce n’est pas la

  1. G. Bontemps, Guide du Verrier, p. 177-179.