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LES IDÉES MUSICALES D’ARISTOTE.


II

L’âme ou le sentiment de la musique même, voilà sinon l’unique matière, au moins, la matière la plus précieuse des « Problèmes musicaux. » Voilà le mystère par excellence dont Aristote a cherché la révélation dans l’étude des genres, des élémens ou des facteurs (instrumens et voix), des conditions et de la nature de notre art. De toute question musicale traitée par le philosophe on pourrait presque dire qu’elle se ramène ou se réduit à une question de sensibilité.

C’est le caractère en quelque sorte affectif pu moral d’un genre que définit le problème suivant :


Pourquoi, étant entremêlée aux morceaux de chant, la paracatalogé (récitation parlée sur un accompagnement instrumental) a-t-elle quelque chose de tragique ? :Est-ce à cause de l’anomalie ? En effet, le pathétique est irrégulier de sa nature, tant dans l’excès du bonheur que dans le malheur extrême. :Ce qui est régulier n’exprime guère la douleur[1].


La déclamation parlée sur un accompagnement instrumental était d’un usage assez fréquent dans le théâtre grec. L’œuvre des grands tragiques en offre de nombreux exemples. Tantôt, séparés nettement, cette déclamation accompagnée et le chant alternaient ; tantôt ils se mêlaient au point que, dans la même phrase poétique et sans qu’il y eût changement d’interlocuteur, une mélodie se transformait en discours ; ou, au contraire, une phrase parlée s’achevait, s’épanouissait en un chant.

On reconnaît dans la paracatalogé des Grecs l’origine du moderne mélodrame, dont le Pygmalion de Jean-Jacques Rousseau (1775) fut le premier exemplaire et dont les deux chefs-d’œuvre sont peut-être Egmont et l’Arlésienne. Aristote en a bien senti l’éthos particulier et très pathétique. Il a compris que la « transition périodique du chant à la parole et de la parole au chant a le pouvoir de remuer la fibre tragique à cause de l’inégalité des perceptions sensorielles, inégalité résultant du mélange des différens moyens d’expression : d’une part, succession alternative des intonations indéterminées de la voix parlée et des intonations réglées de la voix chantée : d’autre part, emploi

  1. « C’est le propre de la douleur de s’interrompre elle-même. » (Bossuet.)